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Ma vie, il faut venir. Peux-tu donc être heureuse
Si seule ? Hâte-toi, car c’est un triste jour,
Un jour sombre et pareil à la mort ténébreuse.
Que l’on passe, ô mon cœur, sans joie et sans amour.


LE PUITS

 

Je voudrais me pencher sur le vieux puits, qui songe
Là-bas, au coin du clos où saignent les mûriers,
Et revoir dans sa nuit où la fougère plonge.
Mes rêves d’autrefois, de moi-même oubliés.

Je voudrais me pencher sur la margelle rousse,
Désaltérer mon âme à mon passé dormant,
Et, parmi les reflets des plantes et des mousses,
Tout au fond du miroir, rire à mes yeux d’enfant.

Je voudrais, je voudrais… ô bonheur ! ô détresse !
Boire le philtre vert du vieux puits enchanté.
Et grâce à lui revivre un jour de ma jeunesse,
Tout un jour d’innocence et de limpidité.


POUR ELOA

« Nul ange n’oserait vous conter son histoire. » A. de Vigny, Eloa.


Non, non ! chère Eloa, vous n’êtes pas perdue !
Comme un oiseau blessé précipité des nues,
J’ai bien vu défaillir votre blanc tournoiement.
Capté par la fureur du sombre enlacement.
Sur le noir compagnon de vos amours étranges,
J’ai vu que faiblissaient vos faibles ailes d’ange.
En vain vous lui disiez : « Ne descends plus ! » En vain,
Vous vouliez l’attirer vers les astres divins.
« Arrête ! — disiez-vous — je m’éteins dans cette ombre ;
Je suis la sœur de l’aube et des rayons sans nombre.