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armât et manœuvrât toutes les énergies de la race au profit de la puissance nationale. Chez elle, les socialistes ne furent pas partagés d’affections : dès qu’ils jugeaient utile le changement de l’ordre général, ils comptèrent, pour l’accomplir, sur l’Etat qui était chez eux l’exécuteur des hautes œuvres. De là une réduction énorme du problème. A cette disposition historique du caractère allemand s’ajouta ce fait que l’étude en fut poursuivie par des professeurs, « les socialistes de la chaire : » ils ajoutèrent à la simplicité des thèses une puissance de méthode. Une erreur enseignée comme dogme, à savoir : la condition scientifiquement incurable du prolétariat et la nécessité pour le pauvre de devenir toujours plus pauvre, condamna d’avance tous les efforts de la liberté personnelle et ne permit d’espérer qu’en un effort d’autorité, en un bouleversement collectif, œuvre de l’Etat. Dans les congrès de l’Internationale, la lutte ne fut pas longue entre la thèse allemande, qui offrait aux passions des prolétaires l’espoir d’une revanche complète, d’une omnipotence vengeresse, et la doctrine française, qui d’avance amoindrissait la revanche, en reculait la date et l’embarrassait dans la contradiction de ses propres désirs. La masse des ouvriers français désavoua les siens ; séduite par l’audace, la rigidité, la pédanterie des penseurs germaniques, elle les prit pour maîtres, et il n’y eut plus en France de doctrine socialiste que la doctrine allemande. Ce fut une nouveauté dans notre intellect français, si rebelle à l’asservissement, si prompt à échapper à l’outrance par son instinct de mesure et à s’évader de l’enthousiasme dans l’ironie, que cette dévotion insatiable pour l’infaillibilité allemande, ce goût des férules maniées par des pédagogues dédaigneux.

Or, autant nous mettions d’aveuglement à croire, autant l’Allemagne apportait de calcul à enseigner. L’instinct naturel de l’Allemand à tenir pour inséparables sa propre destinée et la destinée nationale le porte à la fois à se servir de l’Etat et à servir l’Etat. En attendant que le socialisme pût se servir de l’État, il servait l’Etat. Par sa maîtrise internationale, la Sozial-demokratie mettait le socialisme universel au service des intérêts germaniques. Elle maintenait bruyamment la doctrine révolutionnaire pour l’exportation, et à huis clos, dans la mère patrie, mitigeait les applications de cette doctrine incommodes à l’Empire. L’hégémonie allemande sur le