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morceaux. Plus le défunt laisse d’enfans, plus ils sont réduits à vendre ce qu’ils ne peuvent plus exploiter. Et ici nouveau désavantage pour les familles nombreuses : la plus âpre et la plus inintelligente des fiscalités combine de tels tarifs de vente et de partage que, moindre est la propriété, plus onéreux deviennent les frais, et qu’ils l’emportent sur la valeur du bien pour les petites parcelles. L’homme de la terre expulsé du sol par l’Etat, voilà le résultat de notre système héréditaire. Que le domaine arrondi avec tant de persévérance dans son étendue, fertilisé avec tant de peine dans sa substance, pourvu avec une telle sollicitude de ses commodités accessoires, et devenu la réputation et la fierté de son maître, soit coupé en morceaux ou vendu, c’est la faillite des espérances, des dépenses, des vertus enfouies là. Comment conserver le domaine ? N’en pas multiplier les futurs maîtres[1]. Si on blâme les paysans qu’a l’amour de la terre combatte en eux l’amour de la famille, quelle sévérité est due au pouvoir qui, ayant besoin d’hommes pour cultiver le sol et pour le défendre, a, dans un pays où la fécondité de la terre entretenait la fécondité de la race, fait servir l’amour de la terre à la stérilité des foyers !

Ce n’est pas assez. L’ascension continue des, dépenses va élevant les impôts ; une égalité ici légitime exigerait qu’on les demandât à toutes les ressources. Mais toujours dans ce pays égalitaire et sans classes, il s’est trouvé des classes privilégiées devant l’impôt, grands propriétaires, industriels, gens de bourse, ouvriers, et nombre de taxes poursuivent une richesse qui se cache et s’échappe. Les plus commodes, les seules certaines sont les charges mises sur la loyale terre qui ne se dissimule ni n’émigre. Le paysan est donc devenu la victime de tous. C’est lui qui répare les fautes de conduite et les fautes de calcul, et il paie pour un bien égal deux et trois fois plus que d’autres contribuables. L’impôt proportionnel n’était pas assez productif : pour équilibrer nos dettes, il a fallu l’impôt progressif. Il a été le don du XXe siècle. Il est entré en 1901 dans nos lois. Appliqué aussitôt aux successions, cinq fois relevé

  1. La victime principale de la législation révolutionnaire très insuffisamment atténuée par le Code civile, ce n’est pas le noble ou le bourgeois, c’est l’ouvrier qui, ayant des enfans, a dû cesser d’être propriétaire, c’est le paysan qui, pour rester propriétaire, a dû cesser d’avoir des enfans. H. Roulleaux-Dugage, député, Natalité et Législation, p. 24, Lévi, 1917.