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craquer les étroitesses, et prépare une délivrance à tous. Les ouvriers ont été les premiers et les mieux servis : les plus délaissés, les femmes et les paysans, ont reçu pourtant un double service signé d’un même nom et qui mérite la même gratitude au frère et à la sœur. A Paris, les professions qui emploient l’intelligence et l’habileté des femmes sont groupées, les intérêts des ouvrières soutenus, leurs chômages réduits, leurs mœurs sauvegardées, et la monotonie de leur solitude dissoute dans la douceur d’une communauté affectueuse : rue de l’Abbaye, un pauvre local semble trop exigu pour contenir tous ces bienfaits, ils tiennent dans un asile bien plus petit encore, dans la main de « Sœur Milcent, » fille de la Charité. Ces autres ouvriers qui, dans toute la France, exercent le plus nécessaire, le plus sain, le plus libre, le plus noble et le plus méconnu des métiers, doivent à Louis Milcent la méthode et la pratique des groupemens ruraux, et la Société des Agriculteurs de France, par la place qu’elle a faite parmi ses dirigeans à cet homme de doctrine et d’action pour récompenser cette propagande, l’a aidé à la répandre. Où le frère et la sœur ont-ils puisé leur vocation ? Dans l’existence traditionnelle d’une famille terrienne. Elle a gardé dans la Manche son ancien et vaste berceau ; la mise en valeur de ce domaine exige la collaboration d’activités nombreuses et rend utiles à ses possesseurs les forces associées dont la plus parfaite est la famille. Le dernier chef de la lignée établie là, M. Ernest Milcent, a eu cinq filles et sept fils. Deux ont été tués à l’ennemi, quatre servent encore, un attend l’âge de combattre ; des filles, deux sont religieuses, une est mariée, et deux remplacent dans le gouvernement du domaine leurs frères devenus soldats.

Un autre serviteur de la réforme sociale a obtenu une notoriété assez bruyante qui pourtant ne lui fit pas justice. En Léon Harmel le gros du public voyait surtout l’originalité des bonnes intentions : on s’intéressait avec une sympathie amusée et sceptique à cet industriel qui s’était établi en pleine campagne, à ce centre d’affaires qui s’appelait le Val des Bois, à cette usine close et recueillie comme un cloître, à cette volonté de réconcilier les prolétaires avec l’existence en leur rendant accessible et stable la douceur du foyer, à ce chef d’ouvriers qu’ils appelaient « le Bon Père, » qui les menait en pèlerinage à Rome, et se jugeait payé de tout par une bénédiction du Pape.