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telle qu’on n’en connaît plus de semblable au Japon. Les élèves faisaient eux-mêmes leur cuisine ; ils allaient, au cœur de l’hiver, puiser à la fontaine et ramasser du bois mort dans la forêt. Les maîtres ne leur enseignaient pas seulement la lecture, le calcul, la calligraphie, l’escrime ; ils les aguerrissaient contre le froid et contre la chaleur et contre les fantômes que nous portons en nous. Par les nuits les plus noires, ils les menaient dans les tristes lieux hantés. Si quelque bruit de feuille arrachait à l’un d’eux un sursaut ou un cri d’effroi, ses camarades le rouaient de coups et l’abandonnaient aux ténèbres. On ordonnait encore à celui qui semblait manquer de courage d’escalader dans l’ombre l’échafaud où étaient exposés les cadavres des criminels et d’en rapporter une tête coupée. Le petit Nogi, aussi timide qu’une fille, et qui se laissait battre par ses sœurs, souffrit horriblement ; mais il se raidissait et ne disait rien. Son père, plus sensible aux marques de sa nervosité qu’aux efforts qu’il faisait pour réagir, ajoutait à ce dur entraînement de l’école. Il l’envoyait souvent jusqu’à la ville de Hagi : dix-huit lieues de chemins impraticables, dans les montagnes, le jour sans rencontrer personne, la nuit au clair de lune, avec la peur des spectres. L’enfant avait pris en horreur le métier des armes, et l’étude lui apparaissait comme le seul refuge.

Quelques années se passent : il atteint sa seizième année et ose avouer à son père son ambition de devenir un savant. Un savant à cette heure où il n’y a pas, dans toute l’étendue de l’empire, un homme d’armes qui ne tende l’oreille aux murmures précurseurs de la guerre civile ! On a bien besoin de savans ! Samuraï ou paysan, qu’il choisisse ! Le père était opiniâtre ; le fils aussi. Un de leurs parens tenait à Hagi une école renommée, d’esprit très confucéen et de tendances nettement impérialistes, car, dans cette province excentrique, on n’avait jamais accepté l’usurpation des Tokugawa qu’en grinçant des dents. Le jeune Nogi se sauve de chez lui. Le chemin de Hagi lui était familier, et l’espoir qui le conduisait en avait écarté tous les spectres. Mais pour un jeune homme si désireux d’apprendre la philosophie chinoise, c’était un fâcheux début de désobéir à son père. Son parent refusa de le recevoir. Il errait, les yeux pleins de larmes, autour de cette maison de la science aux portes inexorables, quand la femme de ce parent l’aperçut et le prit en pitié. Elle fléchit son mari. On le mit d’abord aux travaux