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poitrine des soldats immobiles. Ils portaient les emblèmes de la religion nationale, les deux arbrisseaux verts qui ressemblent au camélia, de longues banderolles qui symbolisent le soleil et la lune, des gongs, des boucliers, des arcs, des flèches, des tables pour les viatiques du mort, et ces viatiques : du riz, de l’eau, du sel, des rouleaux de soie blanche et de soie écarlate, une paire de sandales. Ces antiques présens funéraires passaient accompagnés d’une musique de faucheurs asiatiques soufflant dans leurs roseaux. Mais, par intervalles, des clairons coupaient d’une note sonore la voix aiguë des fifres. Le Japon du passé ne pouvait oublier que le Japon moderne était là.

Et tout à coup nous vîmes, se détachant de la pénombre aux flammes des torches et dominant la foule, le chariot funèbre. Il était laqué de noir et d’or, monté sur deux énormes roues et traîné par deux couples de bœufs qu’escortaient leurs piqueurs. Les hommes qui l’entouraient, habillés comme au vieux temps, venaient du village de Yasé près de Kyoto, qui a toujours fourni, au cours des âges, les nourrices des princes du sang et les porteurs de la litière impériale. L’Impératrice s’en allait dans un de ces chars attelés de bœufs comme ceux qui conduisaient, il y a douze cents ans, les Empereurs et leur cour à des plaisirs arcadiens, Aujourd’hui, c’est l’automobile ou le chemin de fer qui les y mène. Mais, le jour de la mort, ils retrouvent le lourd chariot et les bœufs au pas lent ; car ils sont aussi morts que les morts d’autrefois ; ce qui convenait aux uns convient aux autres, et il est bon qu’ils entrent tous de la même allure pacifique dans l’éternité.

À chaque tour de roue, ce char gémissait étrangement. Les essieux avaient été disposés de telle sorte qu’ils produisaient sept notes gémissantes. On me dit que l’artisan de Kyoto, dont ils étaient l’ouvrage, appartenait à une famille où, de père en fils, on se transmettait le secret de ces gémissemens, « qui doivent contracter les cœurs. » Ah ! comme je reconnais bien là le génie japonais ! Il ne se contente pas d’atteindre la grandeur par les moyens les plus simples : il lui faut de l’habileté. Et son habileté, sans être formellement de mauvais goût, a quelque chose de puéril et de précieux qui passe la mesure et qui diminue quelquefois l’impression de grandeur. Cette mécanique destinée à émouvoir m’a un instant gâté la simplicité majestueuse de ces funérailles. Un moment ma pensée s’est