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les pentes ; leurs palissades de bambou et leurs portes à auvent où le bec électrique remplaçait la lanterne ; et les marchés du soir dans les rues populeuses ; et les grands parcs et les temples et les théâtres avec leurs affiches suspendues à de longues perches comme des oriflammes. J’entrai au Meiji-za : c’était la même salle traversée d’un pont de bois où s’avancent les acteurs, le même public fumant, buvant et mangeant sur les nattes du parterre et des loges, la même scène tournante, la même voix chevrotante des chanteurs, les mêmes sons aigres du shamisen, les mêmes pièces qui reproduisent longuement et minutieusement les petits aspects comiques de la vie journalière.

Mais je ne pouvais supposer que l’ancien Japon fût remonté dans la lune, et le Japonais qui, revenant à Paris, écrirait : « Ô merveille ! Les Parisiens ont toujours des souliers ou des bottines ; on promène toujours les bébés dans de petites voitures ; les théâtres jouent toujours les mêmes pièces ; les gens chez qui je vais habitent toujours des appartemens, et, au rez-de-chaussée des maisons, on trouve toujours un concierge à qui parler, quand il n’est pas dans l’escalier, » ce Japonais ne me paraîtrait pas plus naïf que l’Européen qui se montrerait agréablement surpris de la persistance des Japonais à se servir de leurs socques en bois et des mères japonaises à porter leur enfant sur leur dos. En somme, rien n’avait changé. Je remarquai seulement, que les femmes mettaient plus de bijoux, que leurs doigts étaient souvent chargés de bagues, que leur coquetterie avait quelque chose de plus indépendant et de plus personnel. Au contraire, je crus distinguer chez les hommes un retour aux anciennes modes. Ceux qui étaient vêtus à l’européenne me semblaient beaucoup moins empruntés qu’autrefois.) Mais le plus grand nombre était revenu au costume national ; et les élégans se promenaient tête nue et les pieds nus dans leurs geta. En revanche, au théâtre, beaucoup s’asseyaient les jambes croisées comme si l’usage des sièges européens les avait déshabitués de leur pénible agenouillement.

Rien n’avait changé non plus dans les opinions et les jugemens des résidens européens. J’entendais les mêmes phrases que jadis sur le charme assez indéfinissable dont le Japon nous enveloppe, sur la difficulté de pénétrer le caractère des Japonais, sur leur façon de raisonner qui ne ressemble pas à la nôtre, sur leur orgueil, sur leur désir d’éliminer l’Euro-