l’église. Ils venaient assister au service religieux que l’ambassade d’Autriche faisait célébrer pour le repos de l’âme des victimes de Sarajevo. Au bout de trois quarts d’heure, ils sortirent et se dispersèrent avec la hâte des gens qui craignent de déjeuner trop tard. Je remarquai la complète indifférence du petit peuple des boutiques que jadis ces uniformes et ces équipages auraient mis en l’air ; et ce fut ma seule raison de noter cet incident. Je revois encore l’éparpillement de ces dignitaires chamarrés, qui représentaient les grandes nations, dans ce quartier morne où de vieilles bâtisses européennes écrasent les ruelles japonaises ; mais je le revois à la lumière sinistre des jours révolus. Comme ils s’étaient vite séparés et comme ils couraient vers l’avenir ! Les trois ou quatre lignes où je m’étonnais de l’absence des badauds sur leur passage sont les seules de mes carnets qui aient gardé un peu d’actualité. Le reste n’en aura que pour ceux qui peuvent distraire un instant leur pensée de tout ce qui nous étreint le cœur et qui désireront se familiariser davantage avec un peuple dont la ferme attitude dans cette effroyable guerre nous montre mieux encore que ne l’ont fait ses progrès matériels de quel côté il place l’honneur et la gloire de la civilisation. Du reste, elle n’influera en rien sur les impressions qu’il m’a laissées ; et, en me reportant à ce passé si proche et pourtant si lointain, je ne me soucie que d’exactitude et de sincérité.
I. — PREMIÈRE RECONNAISSANCE
J’avais connu le Japon au moment où, silencieusement, il préparait sa revanche contre les Européens qui l’avaient forcé de lâcher la Chine et le prix de ses victoires. Seule, une grande guerre, où il battrait une nation européenne, pouvait lui assurer la liberté de ses allures dans l’Extrême-Orient. Il fallait que décidément l’Europe comptât avec lui. Mais cela, il ne le disait point ; et il ne semblait préoccupé que d’assimiler nos institutions et nos mœurs. Il y mettait un zèle qui ne nous paraissait pas sans danger pour lui. Sa vieille, société ne s’ouvrait qu’en craquant aux idées étrangères. Tout semblait menacé : le prestige de l’Empereur, le principe d’autorité, la morale traditionnelle, la conception de la famille, la production artistique et les belles manières. Mais tout demeurait encore à peu près