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les Giudicarie, à la limite du Trentin, ne sont peut-être qu’une feinte ; mais ce demi-cercle infernal est à ce point hérissé d’embûches que la prudence commande de s’y garder à la fois de tous les côtés.

Telle est la situation. Elle est sérieuse. Elle exige la prompte et pleine reprise des sens de l’armée italienne, le prompt et plein épanouissement des vertus de la nation italienne, la prompte et pleine assistance des Alliés. L’offensive allemande, comme de coutume, a été double : militaire et politique ou psychologique. L’offensive militaire a réussi, sans doute au-delà de ce que les Empires du Centre s’en étaient promis. Ils vont, toujours comme de coutume et comme de raison, tout faire pour l’exploiter à fond. Elle va être prolongée, renouvelée, réitérée, répétée, avec toute la puissance de répétition germanique, tant que l’état-major espérera pouvoir en tirer quelque chose, militairement et politiquement. Elle a été, pour l’Italie, coûteuse et douloureuse ; elle pourra l’être encore ; elle ne sera pas mortelle, si l’offensive psychologique a échoué ; et elle est destinée à échouer, car les Allemands sont de bons soldats, mais sont de mauvais psychologues. Dans l’espèce, ils ont spéculé sur la survivance des sympathies qu’ils pensaient s’être ménagées par une infiltration de trente années, par leur association à des milliers d’affaires, par une propagande indiscrète, tenace, au besoin corruptrice ; sur les regrets des neutralistes d’hier ou d’avant-hier, que le malheur aurait réveillés, et naturellement portés à penser : « Nous l’avions bien dit ! Si l’on nous avait écoutés ! » sur les inquiétudes des uns, sur la gêne des autres, sur la lassitude de tous. Mais ils ont trop maladroitement et trop brutalement touché les deux grands ressorts de l’âme italienne : l’orgueil et la haine. Jusqu’ici, tant que l’armée du duc d’Aoste s’avançait, à travers le Carso, de rocher en rocher, vers Trieste, en payant chaque pas d’un holocauste, il pouvait y avoir encore des gens qui faisaient des comptes, comparaient, soupesaient, et continuaient de croire aux mérites du parecchio. À cette heure, ce n’est pas à la nouvelle frontière qu’il faut songer ; l’ennemi a foulé l’ancienne ; il n’est plus seulement aux portes, il est entré dans la maison. Que, du fond des temps, remonte le cri immortel, le cri qui a retenti de la Renaissance au Risorgimento : Fuori i Barbari ! Dehors, les Barbares ! Ils sont revenus, toujours les mêmes, tels que les Connurent et les peignirent les vieux poètes : les Tedeschi lurchi, les « goinfres allemands, » de Dante ; la tedesca rabbia, le popol senza legge, le bavarico inganno, la « rage allemande, » le « peuple sans loi, » la « ruse bavaroise, » de Pétrarque. Ils n’ont rien fait et ne font rien