Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 42.djvu/472

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pâte, au lieu d’eau ordinaire, de l’eau de chaux. Celle-ci est préparée par un procédé très simple et ne peut jamais contenir, étant donné la très faible solubilité de la chaux, plus de 1 pour 1000 de ce corps, c’est-à-dire une quantité parfaitement inoffensive pour l’organisme. Cette solution très diluée de chaux agit sur le pain comme un alcali, et, d’après les résultats publiés, en atténue et même en supprime l’acidité, et, d’autre part, en améliore la conservation. Il y a là assurément un progrès très intéressant ; leurs auteurs ont appelé « pain français » le pain ainsi obtenu, et quels que puissent être les résultats ultérieurs des expériences de longue haleine qui ne manqueront pas de rechercher quel est exactement le mode d’action microchimique de cette méthode nouvelle, elle constitue, à coup sûr, une contribution heureuse à la solution des problèmes alimentaires que nous pose la défense nationale.

Cela ne veut nullement dire d’ailleurs que le problème général posé ci-dessus puisse être considéré comme tout à fait résolu. Certes, si l’on veut conserver le blutage moyen au minimum de 80 pour 100, il n’est admissible qu’à la condition de rejoindre le procédé panificateur de MM. Lapicque et Legendre.

Mais même dans ces conditions, la question reste soumise au gouvernement et au gouvernement seul, — car elle englobe des contingences étrangères à la science pure, — de savoir si, étant donné l’état du cheptel, celui de nos cultures et de nos approvisionnemens, les prévisions politiques relatives à la durée et à la tournure prochaine de la guerre, il convient oui ou non de revenir à un taux moyen de blutage inférieur à 85.

A cet égard, la décision du gouvernement ne se trouvera ni liée ni préjugée par le décret du 3 mai 1917, puisqu’une décision prise il y a quelques jours par la Cour de Cassation indique que ce décret ne saurait avoir force de loi et entraîner des pénalités contre les meuniers qui s’en sont tenus au régime légal, antérieur, du blutage à 80.

Rien ne montre mieux l’importance de la décision qui sera prise, que cette remarque saisissante de M. Lapicque : si l’on arrivait à persuader aux États-Unis qu’ils ont intérêt à remplacer leur pain blanc actuel par du pain à 85 pour 100, cela rendrait disponible chez eux presque de quoi nourrir la France entière. Mais avons-nous vraiment les élémens nécessaires à cette démonstration ?


CHARLES NORDMANN.