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ALAN SEEGER.

Son désir ancien de « vivre dangereusement » remontait en lui. Brave, amant du péril et de la gloire, les risques des batailles l’avaient toujours attiré. En automne 1912, à propos des guerres balkaniques, il avait déjà écrit aux siens : « Qu’il est beau de voir les États balkaniques triompher ainsi ! J’ai été si exalté par la guerre qu’il s’en fallut d’une bien petite occasion pour m’amener à partir. » En l’automne 1914, il devait leur écrire :

« Pourquoi je me suis engagé ? Que puis-je répondre ? Lorsque le jour mémorable d’août est arrivé, soudain, les maisons se sont vidées, mes compagnons sont partis. Il était inconcevable de leur laisser le danger et d’accepter pour moi le plaisir. Comment continuer de jouir des douces choses de la vie pour la sauvegarde desquelles, à ce moment même, eux, peut-être, ils versaient leur sang ? Quelque jour, avec honneur ils reviendront ; pas tous, mais quelques-uns : tout sera changé, il y aura une camaraderie nouvelle fondée sur le danger couru en commun, sur la gloire gagnée en commun : « Où avez-vous été pendant ce temps ? Qu’avez-vous fait ? » La question même sonnerait comme un reproche sans qu’on le veuille. Qui pourrait supporter cela ? »

Alan savait qu’en se jetant dans la guerre mondiale qui éclatait, il allait jouer avec la mort un terrible jeu. Mais le sacrifice joyeux n’était-il pas l’essence même de son idéalisme ? Si la mort gagnait la partie, l’idéal du héros ne serait-il pas réalisé, son âme sauvée à jamais de faillir, son nom à jamais sauvé de périr ?


Une heure comblée de gloire vaut tout un âge sans renom[1].


Désormais, dans la mêlée de sang et de boue, l’art sera, pour Seeger, courageuse ardeur, don de soi, généreuse offrande. En une explosion lyrique, sa volonté de sacrifice demande à se révéler par des actes. Il tressaille de joie profonde au bruit des batailles contre les barbares, qui tentent de fausser l’harmonie des formes et des esprits, harmonie inventée par les races créatrices. Il voit le sang français jaillir des cloaques de boue, comme une lumière rayonnante. L’âme tendue vers la bataille

  1. Alan Seeger, Poèmes, 1916.