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différent d’un Renoir qu’un Whistler, ni d’un Sisley qu’un Fantin-Latour, ou qu’un Cals d’un Claude Monet. Un passant non averti n’aura jamais l’idée de les mettre dans le même sac. Pour les y mettre, il faut élargir la définition de l’impressionnisme et ne plus parler d’ « éclaircissement de la palette » ni de « lumières reflétées, » de « division du ton, » ni même de « plein air : » il faut abandonner toute notation spécifique de l’art de peindre et appeler de ce nom l’art de tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, étaient en lutte avec l’Institut et rompaient avec la tradition académique. Mais alors tout le monde y rentre : Géricault comme Delacroix, Corot comme Courbet, Millet lui-même et, jusqu’à un certain point, Fromentin et pourquoi pas Cazin ?… tous ceux qui ne peignaient point des Achilles, des Patrocles, mais la vie moderne, ou abandonnaient le paysage historique et composé pour peindre la campagne de France, comme ils la voyaient. Seulement, une définition aussi étendue et flottante n’est plus une définition : c’est une indéfinition, et pour avoir voulu dire trop de choses, on ne sait plus ce qu’on dit.

Pour qu’un qualificatif serve à quelque chose dans le langage, il faut qu’il attribue une qualité propre à l’objet qu’il qualifie. Il faut que cet objet le possède et que les autres ne le possèdent pas. Il faut ainsi qu’une définition soit à la fois un lien et une frontière, qu’elle unisse et qu’elle sépare, qu’elle unisse ensemble ce qu’elle vise et qu’elle le sépare de ce qu’elle ne vise pas. Il faut donc que les termes qui la composent soient assez généraux pour convenir à tout ce qu’elle évoque, mais assez spécifiques pour ne pas évoquer autre chose en même temps. Sans quoi, on ne voit pas bien à quoi elle peut servir et pourquoi les critiques et les artistes se sont donné la peine de créer le mot : impressionnisme, si c’était pour ne rien y mettre dedans… Or, si l’on réduit l’École nouvelle aux termes qui caractérisent ses chefs et qui les caractérisent seuls, à l’exclusion de leurs devanciers, et ainsi leur rendent cette justice qu’ils ont apporté véritablement à l’art un accent et un procédé nouveaux, on trouve que ces termes sont au nombre de trois : la prédominance de la couleur sur la ligne, la vivacité colorée des ombres et la formation des tons vifs par la juxtaposition de couleurs crues, l’œil de loin faisant le mélange. On trouve ces caractéristiques dans toutes leurs œuvres les plus fameuses,