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brève et cinglante, c’est, là, toute l’histoire de l’Impressionnisme. Elle ne justifie pas toutes les théories, ni toutes les extravagances de cette école ; seulement elle montre que les gens réfléchis d’alors n’en méconnaissaient pas l’apport utile et qu’ils comptaient bien en profiter. Mais l’artiste qui fit le mot est précisément le seul auquel il ne s’appliquait pas. On a très peu « fusillé » Degas, même à cette époque ; il n’a point du tout excité l’hilarité, et peu les sarcasmes de la critique. Cham, par exemple, qui ne manquait pas une occasion de clouer Manet au pilori, ne s’occupait pas de lui. Et, non plus, ses ennemis ne lui ont guère emprunté : ce sont ses amis qui lui doivent. Toute une école de dessinateurs elliptiques et d’observateurs implacables est sortie de lui : ce furent ses jeunes compagnons d’alors ou ses admirateurs. C’est qu’en effet Degas n’était pas un « impressionniste ; » son succès n’est pas leur succès, leurs épreuves n’ont pas été ses épreuves, et son œuvre, au lieu de montrer, comme la leur, la réalisation incomplète d’espoirs trop vastes et de trop intransigeantes théories, nous offre le spectacle de la perfection dans un cercle d’art restreint et de recherches volontairement limitées.

Comment donc se trouvait-il dans cette bagarre ? Un peu comme un passant qui est pris dans une manifestation. Il est révolté par les «brutalités de la police. » Il s’insurge, il frappe, il crie, il est conduit au violon, et, si l’émeute triomphe, au pouvoir, sans avoir jamais été du parti qui a manifesté. À la fin de l’Empire, la police, dans l’Art, c’était l’Institut : il faisait bonne garde autour du Salon, où ne pouvait pénétrer une technique nouvelle, un sentiment imprévu qu’avec d’infinies précautions. Les Manet, les Boudin, les Jongkind n’y pénétraient guère. À ce moment, un ami de Gustave Moreau, un admirateur des vieux maîtres, qui s’était longuement formé en copiant Poussin ou Ghirlandajo, mais qui se mettait maintenant à peindre la vie moderne, s’approcha des artistes maltraités par le jury. C’était Degas. Il voyait refusées des œuvres qui, sans être des chefs-d’œuvre, décelaient des recherches intéressantes, pendant que les Salons et les musées s’encombraient de fades répétitions du passé, de redites de moins en moins personnelles, de pastiches de plus en plus édulcorés. Ces pastiches lui paraissaient non pas seulement une inutilité, mais une injure et une incompréhension des anciens maîtres. Il n’éprou-