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cette journée de prières et sous la canonnade, une source de vie morale et les mêmes encouragemens à la constance, au sacrifice pour la même patrie sous le regard du même Dieu… Le jour même, j’eus l’occasion de m’entretenir avec M. l’archiprêtre de Notre-Dame de la beauté émouvante du service auquel j’avais eu le privilège d’assister. Hélas ! la contemplation de cette nef démantelée, ces vols de colombes au-dessus de l’autel, c’était son lot de tous les jours, et le prêtre en lui parlait avant « l’artiste. » Il aime de tout son cœur sa chère Notre-Dame ; il la connaît et il la comprend bien ; mais un culte vivant n’est pas un spectacle à l’usage des purs dilettantes ; le ciel n’est pas toujours d’un azur transparent et suave… Le dimanche précédent, l’évêque était justement venu présider la grand’messe ; on avait disposé au-dessus de son siège épiscopal des faisceaux de drapeaux tricolores… Un coup de vent avait soufflé en rafale, tout renversé, et la conclusion de l’archiprêtre était qu’il fallait le plus tôt possible remettre en état les voûtes qui couronnent la nef et abritent les fidèles. Et, de son côté, l’aumônier protestant demandait au major de la place s’il n’y aurait pas moyen de faire boucher les crevasses qui rendraient en hiver toutes réunions impossibles. Je ne sais ce qu’il adviendra de la petite chapelle à qui je souhaite de tout cœur longue et bienfaisante vie ; mais la disparition ou la désaffectation de Notre-Dame de Soissons serait une diminution trop sensible de notre patrimoine, une irréparable blessure à cette figure architecturale et morale de la France que Maurice Barrès défendait avant la guerre contre ceux qui la méconnaissaient ou la menaçaient.

Son transept méridional est un des chefs-d’œuvre les plus purs, les plus lumineux en sa simplicité grave et virginale de notre architecture nationale dans sa fleur, à la fin du XIIe siècle, au moment où, après une période féconde de préparation, elle a pris pleine conscience de sa force et entreprend la construction des grandes cathédrales. Il n’a pas souffert du bombardement et il est désormais à l’abri des obus, sinon des avions ; mais il est solidaire de tout ce qui l’entoure, chœur et nef, où la mitraille s’est acharnée. J’ai vu les blessures béantes ; j’ai profondément senti la beauté de la « ruine » et je déclare pourtant qu’il serait criminel de ne pas panser ses plaies, car, en les pansant, on ne court aucun risque de rien enlever à