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Vous ne voulez pas qu’on bouche même les trous faits par les obus et vous voulez sceller aux murs et dans les pierres des faisceaux de piliers toujours robustes, plus d’un million de plaques de marbre, — dont vous pouvez par avance vous représenter l’effet, en regardant autour des chapelles adoptées par la dévotion populaire les ex-voto qui alignent leur épigraphie monotone. Un architecte, M. Louis Dernier, vous a fait, avec une bonhomie un peu narquoise, le devis de la dépense, cela n’est rien… Mais jusqu’où ferez-vous monter ces accumulations d’inscriptions ? Hélas ! qui les lira ? Avez-vous jamais essayé d’épeler jusqu’au bout celles qui recouvrent, en caractères héroïques pourtant, les parois intérieures de l’arc de triomphe de l’Étoile ? Vous creuserez la terre, plus bas que les fondations, sous les dalles descellées ; vous y construirez d’immenses caveaux pour déposer tous les ossemens de nos morts, car tous ils ont droit à cette sépulture que vous estimez plus glorieuse. Avez-vous pensé aux conditions de ces exhumations et de ces funèbres transports ? Je sais, en tout cas, des pères de famille qui vous demanderont de ne pas toucher aux chères dépouilles de leurs enfans, de les laisser dormir dans le morceau du sol sacré qu’ils ont défendu jusqu’à la mort et qui maintenant les contient, les enveloppe et les abrite. Ils ne conçoivent pus pour eux de plus enviable tombeau.

Ne nous pressons pas de décréter dès à présent le sort et la destination définitive de la cathédrale de Reims. Si, ce qu’à Dieu ne plaise ! elle devait n’être plus qu’une vraie « ruine, » ce n’est pas nous qui demanderons jamais qu’on remplace par un vain pastiche et une impossible copie le chef-d’œuvre aboli… Nous n’aurions plus alors qu’à mener sur ces ruines sacrées un deuil inconsolable… Mais si la cathédrale, mutilée, blessée, peut cependant et veut encore vivre ; si le rythme de ses puissans piliers reste intact, si son âme et sa beauté restent sensibles et plus émouvantes sous ses blessures, s’il suffit de rebâtir des pans de murs, quelques parties de contreforts et d’arcs-boutans et des travées de voûtes, — de ces voûtes prodigieuses, vraiment royales, à côté desquelles celles même des Notre-Dame de Paris, de Çharfres, de Bourges et d’Amiens ne sont que de minces abris, — pour rendre le sanctuaire à sa véritable, à sa seule destination, au culte vivant qui importe aussi, je pense, à sa beauté, aux prières des générations qui s’y succéderont encore et