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Rome, peu à peu, compta de nouveaux rois parmi ses fidèles : il lui advint de les décorer, eux aussi, de ce superlatif. Au XIIe siècle, lorsque les papes, traqués par les Césars allemands, trouvèrent en France un fidèle asile, leur gratitude accrocha l’épithète, d’une façon plus instante, au nom de nos rois. « Entre tous les princes séculiers, disait à Philippe-Auguste Innocent III, vous avez été distingué par le nom de chrétien. » Mais l’épithète, même alors, continuait d’honorer, parfois, certains souverains étrangers. Peu à peu, l’opinion française se montra jalouse pour ses rois. « Vous êtes et devez être, écrivait à Charles V, en 1375, son conseiller Raoul de Presles, le seul principal protecteur, champion et défenseur de l’Église. Et ce tient le Saint-Siège de Rome, qui a accoutumé à écrire à vos devanciers et à vous singulièrement, en l’intitulation des lettres : Au très chrétien des princes. » Philippe de Mézières, fièrement, indiquait l’origine du titre : c’étaient « les très grandes vaillances touchant à la foi. » La monarchie se laissa facilement convaincre : « Nous avons pris la résolution, signifiait Charles VI, de conserver ce très saint surnom conquis par nos prédécesseurs. » Il le conserva, et il le monopolisa : au XVe siècle, ce fut une loi de la chancellerie papale de ne décerner qu’aux rois de France le nom de très chrétiens : « Vos ancêtres, disait à Charles VII l’empereur Frédéric III, ont assuré ce nom à votre race comme un patrimoine qui se transmet à titre héréditaire. »

L’Empereur, le Pape, le Roi, étaient désormais d’accord : en formule de style, il n’y avait plus de « très chrétiens » que nos rois, et depuis 1464 la formule figura, non plus seulement dans le corps des lettres que Rome leur expédiait, mais même sur les adresses. Une assemblée du clergé de France, en 1478, commentait, dans un message au pape Sixte IV, l’imposant superlatif :


Si Notre-Seigneur Jésus-Christ, y lisait-on, a investi de l’office pastoral saint Pierre, prince des apôtres, et ses successeurs, c’est lui aussi qui a constitué les rois de France conservateurs et protecteurs, particuliers et spéciaux, de la foi catholique, de la sainte Eglise romaine et des souverains pontifes ; à tel point que chaque fois qu’on a vu le Pape attaqué par les infidèles ou même chassé du siège apostolique de Borne, on a vu aussi le roi de France appeler ses armées et sa noblesse, se transporter en personne près du Pape ou ailleurs, attaquer l’adversaire, et avec la grâce de Dieu vaincre, et