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chrétienne à incarner dans notre race l’idée de croisade. Il en fut le confesseur on Égypte, par sa captivité ; il en fut le martyr à Tunis par sa mort, — martyr que l’Islam lui-même vénérait, puisque, au dire du moine Guillaume, célerier de Saint-Denis, « les Sarrasins montraient grande révérence au tombeau du feu roi, et baisaient les pieds de sa statue. » Avant ses croisades africaines, peu s’en était fallu qu’à titre de « principal défenseur de la foi orthodoxe et de la liberté de l’Eglise, » comme le nommait Innocent IV, il ne suscitât une croisade contre son voisin de Germanie, le méphistophélique Frédéric II. Malgré ses charitables efforts pour l’union du sacerdoce et de l’Empire, saint Louis, qui « considérait les affaires de l’Eglise plus que comme siennes, » — nous dit son panégyriste Guillaume de Chartres, — fut à la veille de faire « proclamer le ban de Notre Seigneur Dieu et du roi Loys son sergent, » en vue d’une guerre sainte contre l’Empereur. Et le pape Innocent IV, tout en faisant ajourner ce dessein, lui écrivait : « Toi seul, pendant que d’autres se taisaient, toi qui émerges avec éclat parmi les rois de la terre, toi seul as eu cette pensée… Que les cieux se réjouissent et que la terre exulte ! »


VI

Un jour vint où l’élan des croisades fléchit, sous l’impropice poussée d’une politique plus réaliste. Philippe le Bel demeura sourd aux attirantes propositions que lui faisait apporter, du fond de l’Asie, l’empereur des Tartares, pour une lutte commune contre les Turcs. L’un des publicistes du règne, Pierre Dubois, encore qu’il intitulât son livre : Le recouvrement de la Terre Sainte, se préoccupait moins, semble-t-il, de ce but auguste et lointain que des remaniemens européens qu’il préconisait. Mais l’obsession du Saint-Sépulcre continuait, chez nous, d’enfiévrer certaines âmes. L’étranger le savait, et ceux qui chez lui rêvaient encore de croisade regardaient fidèlement du côté de la France. Charles de Valois, Humbert dauphin de Vienne, se croisaient avec éclat, et faisaient peu de besogne : l’attente des âmes, pourtant, ne se décourageait point. En 1332, c’est au roi de France que songeait, pour libérer la Terre-Sainte, le dominicain allemand Brocard, dans son Directorium ; c’est vers Louis, duc d’Anjou, que se tournaient en 1376 les vœux de sainte