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sans-gêne d’un train passant à travers une haie. Tout notre rôle se bornera à faire payer le passage et à couler au bon endroit. À bord, rien n’est changé. On se croirait aux manœuvres. Personne ne parle du danger possible, et, s’il est souvent question de ce qui doit se passer à terre, nul ne se préoccupe de ce qui peut arriver ici. Je voudrais tout de même bien savoir ce que vont faire les Anglais. » (Enseigne de vaisseau Guichard.)

À dix heures du soir, les antennes de la télégraphie sans fil recueillaient le message suivant :

Marine Paris à amiral Marseillaise. — Vous pouvez communiquer avec commandant forces anglaises.

Grande, excellente nouvelle, qui autorisait tous les espoirs ! L’Entente ne resterait décidément pas un vain mot. Mais, à trois heures du matin, l’amiral Rouyer informait Paris qu’il n’avait pas encore réussi à se mettre en relation par T. S. F. avec nos alliés. À peu près à la même heure, il apprenait que la guerre était officiellement déclarée par l’Allemagne à la France. Désormais, la marine pouvait répondre : Parée !

Devant les premières blancheurs de l’aube, les torpilleurs rentrèrent au port, comme une nuée d’oiseaux nocturnes regagnant leurs aires. La grande nuit d’attente et d’angoisse était passée. Quand reparut le resplendissant soleil d’août, sur la mer semblable à une nappe d’huile fumante, nos vieux croiseurs cuirassés étaient toujours là. L’holocauste n’avait pas été consommé. Mais le rôle est-il moins dramatique, et le dévouement moins admirable, de ceux qui avaient si noblement accepté le sort cruel pour lequel ils avaient été désignés ? « On sourira peut-être dans la marine, se demande l’enseigne Guichard. Mais songera-t-on, après avoir souri, à l’abnégation de ceux qui, recevant l’ordre de se sacrifier, s’y sont rendus de toute la vitesse de leurs vieux croiseurs démodés ? Est-ce de notre faute si l’ennemi n’est pas venu ? Tout de même, me dit le commandant, les habitans de Douvres ont dû avoir une fameuse émotion en apercevant hier nos silhouettes grises ! »

Dans la matinée arrive à toute vitesse un grand destroyer anglais, en tenue de combat. Défilant à contre-bord de la Jeanne d’Arc, qui a repris sa place en flanc-garde, il la salue le premier de son pavillon national, ce que ne fait jamais un bâtiment de guerre, et les équipages échangent des hourrahs. Il apporte confirmation de l’entrée en guerre de son pays.