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chargés de vie et de sens parce que vos reflets dans l’eau paresseuse signifient des ordres de guerre et le commandement de marcher à l’ennemi. En songeant au mouvement dans les casernes, à la cohue des gares, aux anxiétés, à toute l’agitation dont nous sommes si éloignés, notre isolement me parait presque enviable, et aussi la simplicité de notre rôle. La guerre dérange peu nos habitudes, nous accomplirons notre tâche naturellement, ayant tout à portée de main, quel que soit l’endroit où nos bateaux nous mèneront. Le départ est silencieux et rapide. La ville dort encore, et sera bien étonnée demain, de voir la rade vide. L’escadre défile hors de la passe. Le jour est maintenant levé complètement, et l’on peut distinguer la ligne entière des croiseurs qui défile à toute vitesse vers l’Est, sur la mer grise. »


Le chef de cette armée navale en miniature, celui à qui revient l’honneur de la conduire au sacrifice, en s’efforçant de le rendre aussi coûteux que possible pour l’ennemi, est le contre-amiral Rouyer. Premier de sa promotion à la sortie de l’Ecole navale, il passe à juste titre pour un des plus brillans officiers généraux de la marine. Mathématicien et technicien hors ligne, c’est de plus un manœuvrier remarquable. On lui confia jadis le commandement de certain croiseur qui, gouvernant très mal, avait causé des accidens après lesquels personne n’en voulait plus, et dont il sut venir à bout ni plus ni moins que s’il se fût agi d’un cheval rétif à dresser. Car Rouyer est par-dessus le marché un excellent cavalier. Souple et nerveux comme une lame d’acier, il en a la finesse et la trempe, naturellement aussi le tranchant, avec quelque chose de son éclair bleu dans le regard. Le coup d’œil rapide et la parole brève sont de quelqu’un qui saisit vite et se décide sur-le-champ, sans redouter aucune responsabilité. Le connaissant depuis le collège de Cherbourg, j’en attendais beaucoup, si jamais il trouvait son heure. Les dispositions qu’il imaginera pour barrer le Pas de Calais sont d’un marin consommé.

A côté de lui se place la calme figure de l’amiral Le Cannelier. Un Normand que l’on serait tenté de prendre pour un Breton, tant il en a l’aspect solide et ramassé. De bons yeux pleins de décision, où se lit le devoir partout et toujours