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dans la Méditerranée. Il nous reste à relater celles de la Manche et de la mer du Nord, peut-être encore plus ignorées du public. Officiers et matelots de la Deuxième escadre légère ont pourtant donné, et largement, tout ce qu’on leur a demandé, habileté tactique, froide résolution, abnégation complète, ainsi que mépris le plus complet de la mort : ce n’est pas de leur faute si, envoyés aux Thermopyles, ils en sont revenus sans avoir trouvé occasion de renouveler le plus beau geste de l’antiquité. Rien n’a manqué, que les Allemands, à un épisode qui montre à quel degré la France pouvait compter sur le dévouement le plus absolu de ses admirables marins.


LA MARCHE AU SACRIFICE

Au reçu du télégramme en question, le signal d’appareiller est allumé par la Marseillaise et bientôt répété par toute l’escadre, dont l’illumination fait pâlir les étoiles du ciel. Les croiseurs de la 2e division mouillent sur place leurs chalands de charbon, et lèvent l’ancre. Les autres suivent aussitôt. Torpilleurs et sous-marins se glissent par où ils peuvent. Car, des deux passes ouvertes entre la digue et la terre, celle de l’Est étant fermée depuis la mobilisation, il faut que tout le monde prenne par l’autre. Malgré qu’il fît encore presque nuit, aucun accident, aucune erreur ne vint ralentir ce tour de force de manœuvre que n’oublieront jamais ceux qui en furent témoins. Les hommes du métier ne trouveront pas le terme exagéré, quand j’aurai ajouté que le défilé de cinquante et quelques navires entre les deux musoirs de sortie s’effectua en moins d’une heure, ce qui ne représente guère plus d’une minute pour chacun. Ouvrons le carnet tout neuf du même jeune enseigne que nous citions précédemment :

« L’ordre d’appareiller arrive à l’instant. De la passerelle avant de la Marseillaise, je contemple les signaux de nuit qui vont s’allumant de torpilleur en torpilleur. La rade est tout illuminée de feux rouges et blancs qui s’allument, s’éteignent et clignotent à chaque mât. Vieux signaux endormis dans les livres de tactique, après avoir si longtemps ordonné des manœuvres pour rire et des départs sans danger, pour la première fois, en cette nuit étoilée, vous n’êtes plus des signaux morts. Vous ressuscitez en ce moment, et vous voilà désormais