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Elle était née à la fin du XIIe siècle, une douzaine d’années après saint François, dans une très noble famille. Son père s’appelait Favorino de Scifi et comptait huit chevaliers parmi ses ancêtres. Sa mère, Mme Ortulana, n’était pas de souche moins illustre. Et les Scifi avaient de grandes richesses. La petite Claire eut, dans la maison de ses parens, la vie heureuse et une abondante oisiveté : car on lui enseigna peut-être à lire, non pas à écrire. Mais elle apprit l’art de filer, de tisser, de broder. Plus tard, au monastère de Saint-Damien, pendant une longue maladie, elle tissa, au nombre de cinquante paires, les linges très fins sur lesquels doit reposer l’hostie consacrée ; elle les fit envelopper de soie couleur de pourpre et d’amarante et, par les frères, distribuer aux églises pauvres des alentours. Elle broda aussi, pour saint François, une aube qui est précieusement conservée aujourd’hui par les Clarisses d’Assise et qui est un ouvrage très beau. Mme Ortulana, sa mère, était une pieuse dame. Et ce nom d’Ortulana, qui revient quasiment à Jardinière, le chroniqueur franciscain joue avec : il vante la Jardinière, pour la belle plante qu’elle a donnée au jardin du Seigneur. Mme Ortulana eut le désir de visiter les lieux saints ; elle en obtint licence de messire Favorino et, « bien accompagnée, elle se mit en route. » Elle vit le Saint-Sépulcre ; et, à son retour, elle accomplit un pèlerinage à l’oratoire de saint Michel archange, à l’église des Saints-Apôtres et aux divers sanctuaires de Rome. La petite enfant qui serait sainte Claire grandit dans une maison qui réunissait l’opulence et la piété. Elle n’en aima que la piété. Elle était encore toute petite et elle n’avait pas encore de chapelet, qu’elle inventa de compter ses patenôtres en déplaçant des séries de menus cailloux. Et elle était un peu plus grande, mais elle n’avait que douze ans, lorsque ses parens la voulurent marier. Elle refusa, non seulement le parti qu’on lui offrait, mais elle refusa tout mariage et pour jamais. Ses parens la questionnaient : « elle leur exposa la caducité et la vanité de ce misérable monde… » Hélas ! et elle n’a que douze ans : déjà le monde n’a plus rien pour la séduire !… On dira que cette époque du XIIIe siècle commençant n’était pas douce en Italie. Thomas de Celano, dans le prologue de sa Vie de sainte Claire, écrit : « En la décrépitude qui accablait ce monde si vieux… » Il y a longtemps que l’humanité se lamente sur la vieillesse du monde : la même plainte se trouve dans le Timée : c’est un prêtre d’Egypte qui la formule et qui souhaite qu’un déluge efface le vieux monde afin que cesse un tel ennui et que sous le soleil fleurisse une vie imprévue. Le désespoir est une maladie ancienne et perpétuelle