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ne se marient pas de l’autre côté du fleuve et qu’ils n’y envoient pas leurs enfans. Ils ne sont de cœur ni Hessois, ni Bavarois, ni Prussiens ; ils souffrent au contraire d’avoir été séparés par les traités de 1815 et livrés en otages à des États différens qui les exploitent, sont incapables de les protéger et ne leur donnent aucune des satisfactions morales dont ils ont besoin. Les aspirations du peuple tendent à l’unité de la rive gauche, mais, pour vivre, il faut de plus faire partie d’une grande nation, assez forte pour défendre les intérêts du pays. Cette nation n’est pas la Prusse, qui écrase ses malheureux sujets rhénans sous sa tyrannie fiscale et militaire. Il n’y a de salut que dans le retour à la France, conformément à ce que conseillent la géographie et l’histoire. Mais pour provoquer cette solution, puisque tous les pourparlers diplomatiques n’ont amené aucun résultat et que les victoires prussiennes ont consolidé l’œuvre de 1815, on ne peut espérer que dans une guerre. Vienne donc la guerre !

Cet entretien se complète par d’autres constatations que fait le général Ducrot en personne pendant ce même séjour à Mayence, où il s’arrête quand il revient de Darmstadt. C’est le grand-duc de Hesse qui l’a engagé à visiter cette ville, en ajoutant que les sentimens français, toujours vivaces, y ont pris encore plus d’intensité depuis que les Prussiens, après Sadowa, sont les seuls à y tenir garnison. Le général, qui est accompagné d’un capitaine parlant l’allemand, en est vite convaincu : « Quant au peuple, écrit-il, c’est-à-dire aux ouvriers et aux paysans, ils affichent avec une extrême violence leur haine contre les Prussiens. Ces gens, disent-ils en parlant d’eux, ne sont pas à leur place ici ; ils n’ont rien à faire de ce côté du Rhin ; nous espérons bien que les Français viendront nous aider à nous en débarrasser un jour ou l’autre… »

Or, à ce moment, Napoléon III a déjà entamé des négociations avec l’Autriche ; Au mois d’août 1867 il se rend à Salzbourg, et au mois de novembre François-Joseph vient en France. En 1869, les deux empereurs contractent des engagemens mutuels dont l’existence nous est connue par la correspondance échangée en janvier 1873 entre Beust et Gramont, et par les révélations de celui-ci. Au début de 1870, les états-majors établissent un plan de mobilisation et un plan de campagne ; l’archiduc Albert est envoyé en mission à Paris, et le général Lebrun fait le