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suffit d’ailleurs qu’elle soit l’ennemie de la Prusse. En outre, les rancunes accumulées depuis 1815 portent leurs fruits, et l’on refuse d’autant plus de travailler à la grandeur des Hohenzollern exécrés que l’on se sent soutenu par la coalition presque unanime de l’Allemagne. Enfin il semble inutile de se battre pour Guillaume Ier, du moment qu’à la fin de la guerre, avant peut-être, Napoléon III prendra possession du pays tout entier.

Car, de quelque façon que l’on envisage l’attitude de la France, soit qu’elle ait jugé à propos de s’entendre avec la Prusse, soit qu’elle ait signé une convention avec l’Autriche, dans les deux cas, le résultat du conflit semble devoir être celui que nous venons de dire. Il n’y a pas à se méprendre sur les vœux de la population, encore que certains faits paraissent prouver le contraire. Sans doute, certaines assemblées populaires, celles du 3 juin à Oberingelheim et du 17 à Mayence, ont voté des ordres du jour par lesquels elles exprimaient l’intention de s’opposer à l’annexion par la France d’une partie quelconque du territoire allemand ; mais ces réunions, convoquées par le Nationalverein, outre qu’elles ont dû se composer surtout de ralliés et d’immigrés, présentaient une trop bonne occasion de narguer la politique prussienne pour que l’opposition francophile s’en désintéressât. La lettre de l’archevêque de Cologne ne doit pas nous tromper davantage. Son auteur, écrivant au roi de Prusse pour le détourner de la guerre, invoque cet argument que les Français, à la faveur des hostilités, pourraient bien s’emparer de la rive gauche : c’est là, dit-il, ce qui indispose l’opinion et provoque la résistance des réservistes rhénans. Mais l’archevêque Melchers, dignitaire du royaume, pouvait-il donner à ses remontrances une autre forme ou excuser par d’autres motifs l’insubordination de ceux dont il était le chef spirituel ? Il semble bien que non.

Nous avons d’autres témoignages. Le 22 juin 1866, notre ministre à la Haye indique qu’à Luxembourg les soldats rhénans qui y tiennent garnison se plaignent de leur gouvernement, expriment le vœu de se voir remplacés par des troupes françaises et crient déjà : « Vive l’Empereur ! » Sur la rive gauche, la délivrance semble prochaine. Bismarck en effet, parce qu’il n’a pu obtenir l’assurance de la coopération impériale, nous a abandonné tacitement tout le pays. C’est à l’intérieur de l’Allemagne qu’il a décidé de faire porter son effort militaire : il