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les couleurs allemandes et on les hisse à l’hôtel de ville ; des cortèges parcourent les rues, torches allumées, au milieu des salves de fusils et de pistolets. Tandis que l’incendie illumine le ciel du côté de Neuss, et que le mouvement se propage à Mülheim, à Lübbecke, à Gütersloh et à Elberfeld, les troupes de la garnison sont insultées, sifflées, poursuivies par des cris injurieux : « Preussen ! Saupreussen ! Prussiens ! Cochons de Prussiens ! » Le gouvernement alors concentre de forts contingens, mais, comme la situation politique est très mauvaise, il diffère sa répression, et les soldats se retirent après avoir fait des sommations impuissantes. La population et l’armée se défient mutuellement : Saupreussen, clament les uns, et les autres répondent en chantant l’hymne connu : « Ich bin ein Preuss ; kennt ihr meine Farben ? Je suis Prussien ; connaissez-vous mes couleurs ? » Les civils, la nuit, tuent ou blessent les soldats attardés.

Mayence n’est pas moins troublée. C’est une forteresse fédérale, où tiennent garnison des Autrichiens, des Badois, des Hessois, et des Prussiens. Ces derniers sont exécrés. Le 22 mars, deux artilleurs qui se rendent au casino militaire sont entourés par les habitans aux cris de « Mort aux Prussiens ! » Les Mayençais organisent des quêtes pour les Polonais persécutés par la monarchie des Hohenzollern, et les journaux, la Mainzer Zeitung comme le Mainzer Demokrat, attaquent avec véhémence le roi Frédéric-Guillaume IV, le despotisme militaire et bureaucratique de son gouvernement. Au mois de mai, le sang coule. Citoyens et soldats prussiens se battent le 19, le 20, le 21 et le 22, d’abord à coups de poings, puis les armes à la main. Les Mayençais chantent un chant de circonstance, où ils invoquent l’aide des chefs révolutionnaires :

Hecker, Struve, Zitz und Blum,
Kommt und bringt die Preussen um !

« Accourez, Hecker, Struve, Zitz et Blum, accourez et écrasez les Prussiens ! » Il y a des victimes des deux côtés : 4 soldats sont tués et 25 grièvement blessés ; 5 citoyens s (ont blessés, dont 3 grièvement. Les Prussiens désarment aussitôt la garde nationale : le 23, leur chef fait occuper les remparts par la garnison et braque ses canons sur la ville ; ses hommes blessent encore un marchand de beurre et tuent un jeune garçon. Telle fut cette émeute ou Preussenkrawall qui laissa d’amères rancunes.