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courage de ses troupes, Albert de Mun prie, prêche la sérénité, l’espoir, et, par tous les moyens en son pouvoir, réchauffe, exalte, tonifie la confiance française. L’un des premiers, le premier peut-être, il proclame ce qui est devenu, depuis, une vérité d’évidence : « Il y a eu, déclare-t-il, dans l’histoire, des retraites illustres à l’égal des victoires. Celle qui, depuis Charleroi, contient la marche de l’envahisseur, quand le détail en sera connu, comptera dans ces exemples fameux. » Et, prononçant, à l’égard de nos vaillans défenseurs, les chaudes paroles de gratitude qui traduisent la pensée de la France, il s’écrie : « Je voudrais que le pays le comprît tout entier, et que, de son sein, s’élevât vers ses glorieux soldats, un cri de reconnaissance et d’amour. Je voudrais, surtout que là-bas ils eussent, ces sauveurs de la patrie, ces héros de la civilisation, la certitude que la France admire leur œuvre et la comprend[1]. » La France tout entière n’allait pas tarder d’applaudir a cet hommage…


Bordeaux, 12 septembre 1914. — Comment dire ? Quels mots trouver ? Ils sont en pleine retraite, et sur la gauche, entre Reims et Soissons, cette retraite est une déroute… Ah ! il faut s’imaginer cela, le tableau tragique et d’une grandiose horreur… Ça y est… Les canons s’empêtrent dans la marche en arrière, les chevaux tombent, les voitures s’entassent. Hardi les enfans ! Poussez ! « Tout est vôtre, » comme criait Jeanne d’Arc aux siens le jour de Patay.

Alors, comprenez-vous la joie, l’ivresse, l’orgueil ! c’est la poursuite. La poursuite des Allemands sur le sol français ! Imaginez l’enthousiasme, la griserie. Plus de fatigue, plus de regards à ceux qui tombent ! Il faut les atteindre, ramasser les traînards, couper les traits des canons, et, surtout, les empêcher de repasser la Marne, qui paraît là, tout près, au bout du champ de bataille.

Ah ! la belle histoire ! Et dire que nous ne sommes pas là, nous les vieux, les vaincus, les victimes, pour jouir de cette revanche, attendue depuis quarante-quatre ans !


Et le lendemain :


Notre victoire ! Enfin il est permis de les écrire, ces mots glorieux et libérateurs, qu’hier encore, imaginant la poursuite, je n’osais prononcer tout haut, tant l’école de la guerre nous a rendus rebelles aux prompts enthousiasmes…

  1. La guerre de 1914, p. 101, 119, 143, 147, 192.