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désespéré de jamais voir, Albert de Mun refrénait comme il pouvait son impatience. Elle s’échappait quelquefois : son sentiment très vif et volontiers ombrageux de la fierté nationale s’accommodait mal des concessions, des faiblesses peut-être, des timidités et des prudences de la diplomatie. Non, certes, qu’il fût incapable de se contenir : il l’a bien prouvé au moment de Fachoda, lorsqu’il renonça, par patriotisme, à une interpellation que l’on jugeait dangereuse. Non qu’il poussât à la guerre : comme nous tous, il se serait reproché de prendre, à cet égard, une responsabilité quelconque ; mais il n’en avait pas peur et il la croyait inévitable. « Ah ! l’horreur de la guerre ! s’écriait-il. Comment pourrais-je l’oublier ? Oui, la guerre est horrible, source de larmes et de douleurs, féconde cependant, source aussi de grandeur et de prospérité. C’est l’histoire du monde et la leçon des siècles. Il y a, pour les nations comme pour les hommes, des épreuves nécessaires à leur force[1]. »

Ces vérités, qui nous sont aujourd’hui douloureusement familières, choquaient alors, — c’était en 1910, — plus d’une oreille trop pacifiste. Albert de Mun pressentait qu’il devenait urgent de les rappeler. Les alertes succédaient aux alertes. La question marocaine, à peine posée, s’annonçait grosse de complications internationales. Le péril que recouvraient ces complications, personne ne l’a mieux vu, ni plus clairement dénoncé qu’Albert de Mun. « Le Maroc, écrivait-il, le Maroc, si longtemps inconnu, commençait à laisser deviner ses ressources et ses richesses. L’Allemagne, poussant ses commerçans sur tous les points du monde, les jetait sur ses rives. Elle y rencontrait les nôtres, les premiers par le nombre et les transactions. L’orgueil germain décida qu’il serait le maître, là comme partout. Sous l’affaire marocaine, comme sous toutes celles qui agitent l’Europe à l’heure présente, il y a la prétention germanique à l’omnipotence. Le geste de Tanger n’eut pas d’autre signification[2]. »

À cette prétention croissante, Albert de Mun sentait bien que, sous peine d’une irrémédiable déchéance, il nous faudrait, tôt ou tard, résister par la force ; et peut-être, dans le fond de son cœur, s’applaudissait-il, puisqu’il fallait en venir là, que l’orgueilleuse et brutale et maladroite Allemagne prît comme

  1. Combats d’hier et d’aujourd’hui, t. V, p. 216.
  2. Id., t. III, p. 148 149.