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jetant un rapide coup d’œil sur l’année écoulée, il se livrait à un « examen de conscience » mélancolique. La loi de séparation avait développé ses premières conséquences. « L’écroulement de l’antique édifice où s’abritait l’Eglise de France » n’était pas pour lui « la pire des douleurs. » « Qu’il ait pu s’accomplir, avouait-il, dans la froide indifférence d’une nation subjuguée, voilà la tristesse indicible… c’est le grand deuil et l’humiliation dernière. Je n’ai point, depuis Metz, éprouvé plus amèrement la honte d’une défaite sans gloire[1]. » Et certes, cette tristesse est infiniment respectable. Mais l’expression n’en est-elle pas un peu excessive ? Ne révèle-t-elle pas de la part de son auteur, avec une certaine puissance d’illusion, une disposition d’esprit insuffisamment réaliste ? Admirable chrétien, d’une fidélité et d’une docilité spirituelles à toute épreuve, Albert de Mun avait quelque peine à se dégager de certaines formes consacrées par un long usage. Il prenait son mot d’ordre à Rome, et il s’y tenait avec une énergie sans défaillance. Il avait toujours été ainsi. Il nous raconte que tout jeune, au moment des discussions sur l’infaillibilité pontificale, il avait échappé à l’influence de Mgr Dupanloup, alors dominante dans sa famille. « Je me sentais, par tendance naturelle, nous dit-il, et peut-être par habitude de la discipline militaire, plus porté vers la simple obéissance[2]. » Plus tard, quand Léon XIII lui demanda le sacrifice de ses idées royalistes, et plus tard encore, quand le même Léon XIII l’invita « assez vivement » à renoncer à son projet d’organiser un parti catholique, il s’empressa de déférer à ces invitations, « ayant, disait-il, envers le Pape, l’obéissance facile et joyeuse[3]. » Rien assurément de plus légitime. Mais avouons, d’autre part, que cette disposition, poussée un peu loin, n’est pas très conciliable avec le goût des initiatives et des essais d’adaptation. Bref, à la foi d’Albert de Mun, il manquait un peu de cette inquiétude qui est, dans l’ordre intellectuel et religieux, ce qu’est le scrupule dans l’ordre moral, et qui, si elle a ses périls, a bien aussi son charme et sa puissance. Et peut-être aussi n’a-t-il pas senti

  1. Combats d’hier et d’aujourd’hui, t. III, p. 7 et 8.
  2. Ma vocation sociale, p. 6.
  3. Combats d’hier et d’aujourd’hui, supplément à la 1er série, p. 265-266. Albert de Mun avoue pourtant ailleurs (Combats, t. V, p. 169), que, dans le second cas, « ce fut un coup très rude. » Ce le fut aussi dans le premier.