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faisaient alors fureur, comme tout ce qui était allemand. Puis, M. Bernard avait été nommé à Bruxelles, où il était resté huit ans et où son fils avait fait ses études chez les Jésuites.

A force de vivre à l’étranger, Jean-Marc avait-il fini par en prendre le goût au point d’avoir perdu celui de son pays ? Toujours est-il qu’au sortir de chez les Pères il ne quittait la Belgique que pour aller passer une année en Angleterre, et qu’il allait encore, après celle-là, en passer une autre en Allemagne, d’où il n’eût pas pensé à répartir de sitôt si une grave et funèbre nouvelle ne l’en avait pas rappelé. M. Bernard était mort, et le fils prodigue faisait alors un douloureux retour sur lui-même, songeait avec remords au pays natal, aux horizons de son enfance, à sa mère seule et en larmes dans cette maison de Saint-Rambert si ingratement oubliée ! Malgré tout, il ne revenait pas cependant encore tout de suite, et c’était seulement deux ans plus tard qu’il devait écrire ces beaux vers repentans et tristes :


Est-il venu le jour, ô mon père, de dire
L’amour profond dont je t’aimais,
Et saurais-je toucher les cordes de ma lyre
Pour qu’elles vibrent à jamais ?

Ou, simplement pieux à tes mânes absens,
Me faudra-t-il attendre encore
L’heure où je trouverai les éternels accens
Que je devine près d’éclore ?

Je te vois anxieux, étendu sur ta couche,
Trempant les linges de sueur,
Cependant que les cris indistincts de ta bouche
Disaient l’angoisse de ton cœur.

Et le regret m’étreint de n’avoir pas été
Cet enfant, dont la main bénie,
Fraîche à ton front brûlant de lièvre, eût écarté
Les visions de l’agonie !


Deux ans auparavant, à son retour d’Allemagne, il était entré comme employé de banque au Crédit Lyonnais de Valence, essayait ensuite d’un autre emploi dans une grande librairie de Reims, puis retournait à Valence prendre la rédaction du Messager, finissait par venir se retirer à Saint-Rambert, et le