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parle pas. S’il n’était, ce Ménélas, que le roi des maris trompés ! Mais il est l’empereur des maris philosophes. D’autres femmes ont eu, ont ou auront des aventures ; mais c’est lui, sans comparaison possible, de qui la femme aura eu l’aventure la plus retentissante : il n’en est aucunement troublé dans sa sérénité. Andromaque et Pelée s’en donnent à cœur joie et le persiflent à l’envi. Ils ne tarissent ni sur sa solennelle niaiserie, ni sur sa lâcheté. Il est le type de la nullité couronnée : « O renommée, renommée ! combien de mortels tu as grandis et illustrés qui n’avaient aucune valeur ! » On lui attribue la prise de Troie, et il n’est pas même allé au front : « Seul entre tous, tu es revenu de Troie sans blessure, et tu as rapporté ici tes belles armes dans un riche étui, telles que tu les avais emportées là-bas… » Les dieux s’en vont, et la Grèce ne leur ménage même pas un départ en beauté : ces répliques violentes et injurieuses sonnent le glas de sa légende héroïque.

Dans la seconde partie de la pièce, Andromaque ne reparaît plus. Hermione seule l’emplit de ses fureurs et de ses crimes. Maintenant qu’elle a manqué son coup, elle est prise de peur et redoute le retour de son mari. Il ne faut pas que Néoptolème revienne : Oreste y pourvoira, la chance d’Hermione ayant voulu qu’elle eût ce fou sinistre pour cousin. Oreste, pour les beaux yeux de sa cousine, fait assassiner Néoptolème dans le temple même de Delphes : ce fut un meurtre ignoble… « N’épousez jamais une femme méchante, quand même elle vous apporterait des millions ! » C’est le mot de la fin et la leçon du drame.

Car toute la pièce n’est que pour illustrer cette idée : qu’une méchante femme est la perte d’une famille, si d’ailleurs la meilleure des femmes coûte beaucoup et ne vaut pas cher. Cette haine contre les femmes est un des traits essentiels du théâtre d’Euripide, que ses contemporains appelaient le misogyne. Elle éclate à chaque instant, dans Andromaque, en boutades d’une extraordinaire âpreté. La femme est représentée comme le pire des fléaux, le seul contre lequel il n’y ait pas de remède, — et c’est une femme qui le dit ! « Il est cruel qu’un dieu ait fourni aux mortels des remèdes contre les serpens venimeux, et que nul n’en ait trouvé encore contre une femme méchante, plus dangereuse que la vipère et le feu : tant il est vrai qu’il n’est pas pour les hommes de pire fléau que nous ! » Une femme, Hélène, n’a-t-elle pas été la cause de cette longue tuerie de dix ans que fut la guerre de Troie ? Décidément, les idées ont changé depuis le temps que, dans Homère, les vieillards de Troie, voyant passer