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champêtre, était presque celle d’un enfant. Boutonné dans sa capote de chasseur, sa médaille et sa croix sur la poitrine, il nous saluait avec un air de plaisir et de confusion, toujours singulièrement vigoureux malgré son amputation et, de sa grosse main rude et timide, prenait celles qui se tendaient vers lui. Puis, avec un peu de peine, il s’asseyait sur le canapé du bureau, posait ses béquilles, et le glorieux combat de la tranchée devenait bientôt l’objet de la conversation, mais il en paraissait tout gêné, rougissait, et répondait en riant, comme au souvenir d’une affaire sans importance :

— Bah ! c’est tout simple, on s’est défendu comme on a pu… On a fait comme on aurait fait partout !…

Devant l’insistance à le féliciter, il convenait cependant qu’il était bien resté seul à se battre toute une nuit contre toute une troupe d’Allemands, mais répondait encore qu’il n’y avait rien là d’extraordinaire, et ne cessait de répéter, toujours gai et toujours rougissant :

— Bah ! j’ai fait de mon mieux… Tout le monde fait du mieux qu’il peut !…

Et il nous racontait, en changeant de conversation, qu’à l’hospice de la Maison-Blanche, où il achevait sa convalescence, des turcos lui avaient appris à faire des paniers, qu’il savait à présent en fabriquer comme eux, et qu’il en avait apporté un. Puis, il se levait du canapé, reprenait ses béquilles, sortait, et rentrait avec une de ces jolies corbeilles orientales comme on en fabrique en Algérie.

— Voilà, disait-il tout fier de l’avoir faite et tout heureux de l’offrir au directeur, voilà… On sait encore travailler… On pourra encore faire quelque chose.

Il ajoutait, en se remettant à rire :

— J’ai toujours mes deux bras, c’est tout ce qu’il me faut !

Avec la même bonne humeur, quelques mois auparavant, il avait dit au médecin, après avoir été déjà amputé deux fois, au moment de l’être une troisième :

— Encore une fois de plus !… Bah ! monsieur le major, allez-y !… La France vaut bien ma jambe !…