Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/926

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rouge glisse un regard tragique : on dirait l’œil sanglant de la mort contemplant la terre et dénombrant ses victimes !

Certains ciels nous donnent l’impression de voyages au pays des rêves et des chimères. Leurs chaos apparens s’ordonnent au contraire en architectures plus hardies, plus immatérielles surtout que tout ce que les conteurs lancés à travers les royaumes imaginaires des fées pourraient inventer ! Une éclaircie survenue cet automne sur la Somme, après quelques pluvieuses journées, me permit d’entreprendre au déclin du jour une rapide croisière de chasse. L’étrangeté du spectacle dépassait là-haut tout ce dont j’étais coutumier. Mers de brume, continens polaires, longues traînées diaphanes, nimbus lourds de pluie s’échafaudaient les uns par-dessus les autres sur dix mille pieds d’épaisseur, tamisés des derniers feux du couchant. Au hasard de ma route, je traversai des salles voûtées de cristal, hautes et profondes ainsi que des nefs de cathédrales, avec leurs pilastres de volutes livides, leurs resplendissantes verrières, leurs cryptes obscures comme des tombeaux. Je me croyais transporté parfois à l’intérieur de grottes sous-marines taillées dans l’écume argentée, la nacre irisée. Çà et là, des taches de lumière et d’ombre rappelaient quelque curieuse fleur de mer ; de glauques traînées ondulaient à la manière d’algues chevelues. Si une fissure de la voûte laissait entrevoir un lambeau de ciel bleu, le soleil s’y infiltrant en gerbes de rayons réchauffait d’or les ailes et la croupe argentée de mon oiseau, et je rôdais au fond de ces antres, tel un monstrueux poisson dont les nageoires zébraient les parois incertaines de leurs éclairs d’acier ! Seuls les shrapnells que l’ennemi ne cessait d’envoyer vers moi à travers les moindres échappées terrestres disaient encore de leur voix tonnante la guerre meurtrière et les hommes expirans, tandis que Péronne et Chaulnes, indistinctes à mes pieds, paraissaient endormies à jamais sous les flots comme Atlante ou Ys, les légendaires cités. De son vol inflexible, mon avion traversait les murailles opaques, mais impalpables, qui l’encerclaient ; d’autres palais encore s’ouvraient les uns derrière les autres vers lesquels j’avançais, guidé par de mourantes clartés, aussi ébloui qu’Aladin à travers les enchantemens des Mille et une Nuits !

Soudain, à l’intérieur d’une salle richement décorée, un nuage me parut dessiner, aussi exactement que possible, les