Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/916

Cette page a été validée par deux contributeurs.

par une tranchée Est-Ouest, deux entonnoirs dans la prairie en avant ! À huit heures, à Paris, je leur remets mon « topo » triomphant.

Crapaumesnil ! Nom bizarre, emplacement plus curieux encore. Imaginez un cirque de 200 mètres de diamètre environ, plus creusé de trous d’obus qu’une passoire ! une tranche de gruyère, mieux encore : la photographie des volcans de la lune ! Sous le soleil, cette multitude de petits cratères étincelle comme un miroir à alouettes ; sans doute l’eau des dernières pluies est-elle restée au fond de chaque entonnoir.

L’oiseau boche, aux sinistres croix noires, paraît plus nombreux. Hier ils étaient cinq, groupés à 300 mètres au-dessous de moi ! De désespoir, en attendant que l’un d’eux se détache, je les bombarde avec les pelures des bananes dont j’ai dégusté la pulpe ! Que doivent penser les Fritz en voyant tomber du ciel sur leurs terriers cette manne imprévue ?

La chasse bat son plein et les « as » se distinguent : presque chaque jour, Guynemer, Dorme, Heurtaux paraissent au Communiqué. Le ciel est le théâtre de mémorables luttes ; l’artillerie s’en mêle : ce ne sont que noirs flocons des 105 éclatant en l’air, avions chargeant les uns contre les autres ou dégringolant enflammés ! Les Nieuport, aux carapaces argentées, zèbrent l’azur d’éclairs d’acier. Combien de camarades, pleins de jeunesse et de courage, dont on guette en vain le retour, le soir, au colombier !… Combien de parens, qui n’avaient plus qu’un fils, attendent près du foyer désert le pilote envolé à jamais dans les cieux !…


Novembre.

Ils ont reculé de 10 kilomètres, abandonnant de nombreux villages… Là-bas aussi, à Verdun, ils se sont repliés vaincus ! « On les a eus !… On les aura !… » répètent les poilus philosophes et confians.

La Somme s’est transformée en une mer de boue, une bavaroise au chocolat de centaines de lieues carrées ! De Comble à Albert, impossible de distinguer ni route ni village : tout paraît enseveli sous les flots épais de ce nouvel océan !

Les beaux jours ont fui ; de pâles éclaircies permettent quelques rapides sorties : peu d’ennemis ; seulement par les trous de nuages, leurs batteries anti-aériennes nous canonnent avec