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les défendre. Fils du publiciste royaliste Fabien Pillet, qui combattit si vivement le Directoire et eut maille à partir avec presque tous les gens de lettres de son temps, Léon Pillet avait pris rang dans la presse libérale : il fut directeur du Journal de Paris. Il signa la protestation contre les Ordonnances de Charles X, et cette circonstance lui valut de. la monarchie de Juillet des avantages que son seul talent eût été sans doute insuffisant à lui procurer. Scribe n’aimait pas l’homme : on le verra de reste. Pourtant, au début, leur collaboration, à l’Opéra, semble avoir été amicale, par raison, sinon par sentiment. C’est le Duc d’Albe qui gâta les choses. Voici comment.


A Léon Pillet.

Le 4 mai 1844.

Mon cher directeur, voilà deux fois que je suis passé chez vous sans vous voir. Vous étiez occupé d’affaires importantes et je vous écris pour ne pas vous déranger.

Nous attendons toujours, Donizetti et moi, votre décision au sujet de cet infortuné Duc d’Albe, plus torturé après sa mort qu’il ne tortura de son vivant.

Vous trouvez l’ouvrage détestable, et vous pouvez avoir raison : vous vous y connaissez mieux que moi. Mais tel qu’il est, le libraire et l’éditeur de musique l’ont acheté d’avance 28 000 francs, et s’ils se trompent en pensant que la pièce n’est pas plus mauvaise que beaucoup d’autres, nous ne pouvons nous empêcher de partager leur erreur.

Tout ce que nous vous demandons, c’est de nous dire franchement, et dès à présent, ce que vous comptez faire du Duc d’Albe… EUG. SCRIBE. La discussion ne languit pas. Léon Pillet répondit aussitôt. Vite Scribe riposte :


A Léon Pillet.

Le 8 mai 1844.

Tous nos traités, anciens et nouveaux, disent que le Duc d’Albe sera le premier grand ouvrage représenté l’hiver prochain, et représenté, bien entendu, comme tous les grands ouvrages, avec l’élite de la troupe ; car tous les règlemens, les