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progrès du socialisme en Suède sont grandissans, saisissans. C’est peut-être ce facteur, nettement antimilitariste, qui a arrêté les velléités guerrières du roi et de l’armée, en 1914. Et le parti libéral, qui est en ce moment l’honneur de la Suède, grandit aussi, ne se résigne pas à l’inaction, et aura peut-être bientôt (les élections d’hier le prouvent), avec l’appui et l’appoint socialiste, une revanche à longue portée. Si le suffrage universel donne enfin la parole au peuple (et on en viendra forcément là, car la Suède est encore en deçà de 1848 ! ), et si son peuple se rapproche du « peuple » norvégien, celui-là libéré et démocratisé à fond, bien des choses seront changées en Suède, qui déjà d’ailleurs changent peu à peu tous les jours. Mais il aura fallu la défaite de l’Allemagne pour dessiller des yeux qui, depuis trente ans environ, n’ont guère eu que des regards pour le succès, et presque aucun pour un idéal désintéressé.

Ce n’est pas, d’ailleurs, que les esprits élégans et ornés, qui n’ont jamais manqué en Suède, ne soient sensibles, aujourd’hui comme autrefois, aux beautés de l’art et de la culture intellectuelle. Ce n’est pas qu’ils ne soient capables de rendre à la France un hommage qui est sincère, en ce sens qu’il est un peu plus qu’une politesse et un peu moins qu’une adhésion du cœur. Au cours de nos visites et de nos entretiens, nous entendîmes beaucoup d’éloges de la France, mais surtout de son art, de sa littérature, en général, c’est-à-dire de son passé. Avec une courtoisie très délicate et flatteuse, les intendans des musées royaux, qui comptent des savans tels que M. Montélius, nous firent honneur de leurs richesses, où la France occupe une place de choix. Non moins flatteuse fut la demande qui me fut adressée d’une conférence spéciale sur Pigalle ; car on sait que la sculpture suédoise date du XVIIIe siècle français, et que ce sont deux statuaires français, bien connus de Pigalle, savoir : le frère d’Edme Bouchardon, et Larchevêque, qui formèrent à Stockholm le premier sculpteur de la Suède, Sergel, tandis que notre Jacques Saly faisait école à Copenhague, avec la statue équestre de Frédéric V. Nous fûmes donc, en général, comblés d’attentions (sauf par la presse, qui est tout entière pro-allemande), au point que notre séjour fut clos par un banquet, et qu’à ce banquet assista notre ministre de France, esprit averti s’il en fut, et qu’une rare et haute distinction met à