Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du régiment primitif parlaient toujours tant de lui, racontaient tant de merveilles sur sa façon de partager les dangers et les privations des soldats, de se battre et de faire le coup de feu comme eux, qu’il semblait toujours être là, même à ceux qui ne l’avaient jamais connu. Blessé dans l’un des premiers combats, il n’avait pas voulu quitter son commandement pour si peu, avait reçu quatre autres blessures le lendemain, sans vouloir encore en tenir compte, et ne s’était laissé emporter qu’à la sixième, pour retourner au front un mois après, avec le commandement d’une brigade. Trois semaines plus tard, il était titularisé brigadier sur le champ de bataille avec le commandement d’une division, nommé divisionnaire trois mois après avec le commandement d’un corps d’armée, et envoyé alors à Soissons, pour y réparer un échec. Là, selon ses sensationnelles leçons de l’Ecole de Guerre, il projetait tout de suite une attaque, mais avec une armée parvenue à l’état d’esprit voulu pour la réussir, et chaque jour, d’abord, pour l’y amener, visitait les soldats dans leurs tranchées, causait avec eux, s’intéressait à leurs affaires, allait leur parler et les réconforter jusque dans les postes les plus périlleux, et commençait ainsi, au bout de quelque temps, à pouvoir appeler par leur nom presque tous les officiers, des quantités de sous-officiers, et même des quantités d’hommes !

Un matin, le 18 février, il quittait vers dix heures son quartier général du château d’Ecuirie pour faire sa tournée quotidienne dans les tranchées. Il devait se rendre, ce jour-là, dans le faubourg de Saint-Crépin, où menait une route découverte exposée aux batteries ennemies, et n’avait, en conséquence, ni escorte, ni insignes. Un sous-chef d’état-major, un colonel et un troisième officier l’accompagnaient seuls. La matinée avait été calme, on n’avait pas entendu un coup de canon, et ils suivaient tranquillement la route, quand un violent feu d’artillerie s’ouvrait tout à coup sur eux. Un petit mur, heureusement, pouvait leur servir d’abri, ils s’y cachaient, et le feu cessait aussitôt.

— Eh bien ! disait alors gaiment le général, je crois qu’on pourrait bien nous avoir reconnus… Nous ferons mieux de ne pas aller ce matin à Saint-Crépin… Ce sera pour un autre jour… Nous allons maintenant revenir un à un, à distance les uns des autres, afin de ne pas faire cible.