fond de son fjord. Au total, douze à treize jours de voyage ! N’en avons-nous pas mis quinze ou seize pour parvenir de Paris à Rotterdam ?
Nous filons, le 4 au soir, par une mer très calme, surveillés sans doute, mais pas trop ostensiblement convoyés. En vingt-quatre heures, nous voilà amarrés en face, au port de Hull. Mais les formalités, déjà pénibles à l’aller, sont devenues terribles au retour. Trois heures et demie suffisent à peine à nous élargir du bateau-prison. Nous bénissons nos passeports diplomatiques, sans lesquels nous serions, comme un de nos compagnons (un journaliste russe), entièrement dénudés, et verrions notre peau chimiquement explorée pour la découverte de ses recels. Enfin, nous voilà de nouveau dans le grand hôtel de Hull, retrouvant les mêmes sourires « alliés, » les mêmes chambres ultra-chères, et les mêmes menus, à la fois diminués de longueur et augmentés de prix.
Le lendemain 6 avril, vendredi saint, par un temps délicieux, nous prenons naïvement la direction de Newcastle, d’où les bateaux sont censés partir pour Bergen. Les trains, en ce jour de fête consacrée, marchent d’une allure de cantique. Haltes longues, comme des reposoirs. Je saisis l’occasion d’une visite à la très intéressante église de Selby, et à la cathédrale de York, rendue encore plus auguste par la parure de ses monumens funéraires et de ses souvenirs guerriers. Les églises d’Angleterre sont monumens nationaux bien plus que les nôtres. On n’y sent pas seulement la religion, on y sent l’histoire du passé, conservée et comprise ; pas seulement la patrie du ciel, mais la patrie de la terre. Le culte de Dieu s’enveloppe du culte de l’Angleterre. On prie là autrement que chez nous…
Enfin nous voici à Newcastle, et déjà nous sourit la grâce écossaise, en tout cas une vivacité très éloignée du flegme londonien. Dans la grande cité grouillante, qui rappelle par beaucoup de points un Lyon sans Fourvières, le sémillant, le gracieux, le pétulant paraissent tout latins : les légions romaines (j’évoquais tout à l’heure Tacite) auraient-elles essaimé là plus qu’ailleurs ? Le mouvement ici est perpétuel, et le bruissement de la foule parlante, marchante, les rapides coups d’œil noirs et animés, les éclats de rire même (nous n’avons entendu rire que là, en quatre mois de mission dans quatre pays) rappellent, au sortir des fabriques, les fusées des