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instauré, mais sa perpétuité le condamnait à produire de néfastes conséquences dans une matière où tout change périodiquement, où le vrai lui-même n’est pas durable, où les valeurs sont relatives et fuyantes. Lorsque, en 1892, puis en 1910, nous voulûmes nous défendre contre l’industrie d’abord naissante, puis rapidement grandissante de l’Allemagne, il nous fallut compromettre, sinon rompre, nos bons rapports commerciaux avec nos meilleurs cliens et nos plus fidèles amis politiques. Quand, de son côté, l’Allemagne, dans un intérêt de prévoyante diplomatie, songea à accorder quelques faveurs à certains de ses voisins et alliés, elle se trouva gênée pour empêcher que la France en profitât. Seulement, plus inventive que nous, elle ne tarda pas à découvrir l’expédient utile : elle définit par de savantes « spécialisations » les produits qu’elle entendait avantager, de telle manière que leurs analogues français ne pussent pas leur être assimilés ; ainsi notamment du bétail suisse, qui, pour entrer en Allemagne au tarif réduit, devait avoir transhumé un certain temps dans la haute montagne.

Si cette ingénieuse argutie permettait à l’empire allemand d’entr’ouvrir sa porte à quelques importations politiques, elle n’agrandissait pas les débouchés qui s’offraient à ses exportations. Pour atteindre ce second objectif, l’Empire recourut à une autre méthode, celle du dumping. Cette méthode consiste essentiellement à syndiquer, tantôt par l’action concertée des particuliers, tantôt par celle de la loi, les industries similaires d’un pays, à faire en sorte qu’elles puissent vendre très cher à l’intérieur et qu’une partie du gain ainsi réalisé soit consacrée par elles à vendre au dehors à bas prix, au besoin même à perte, jusqu’à ce que leurs concurrentes soient mises dans l’impossibilité radicale de soutenir la lutte et que le marché étranger, ainsi purgé de rivaux et conquis par l’envahisseur pacifique, supporte tous les relèvemens de prix que celui-ci voudra lui imposer pour se récupérer de ses sacrifices premiers.

On aperçoit aisément toutes les complicités qui peuvent s’employer au succès d’une telle politique : celle des commerçans qui préfèrent travailler à la commission pour placer des articles d’origine quelconque, plutôt que d’exposer des capitaux dans une fabrication nationale toujours plus ou moins risquée ; celle des ménagères, pour lesquelles la recherche du bon marché est