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guerre. Aussi longtemps que la pensée chrétienne restera lettre morte, aussi longtemps que les esprits ne se préoccuperont que de la matière, glorifiant par des hommes morts et des provinces dévastées la beauté des emprunts de guerre, il n’y aura pas de paix durable. » Ce langage est assurément noble. Il n’eut cependant pas d’écho dans le monde : on restait sceptique, parce que les événemens récens rappelaient à chacun que ni le christianisme, ni la Renaissance, ni l’Encyclopédie, ni la science, ni l’économie politique n’ont réussi à supprimer, pas même à tempérer les instincts de duplicité, de rapine et de férocité que Tacite a proclamé être les caractéristiques des peuplades d’outre-Rhin.

On essaya donc d’un autre procédé : la révolution russe ayant paru déterminer une fissure dans le bloc de l’Entente, on s’appliqua à élargir la fente. Pour cette besogne de salut public, on fit choix du socialiste suisse Robert Grimm, qui, détail piquant, se trouvait être le coreligionnaire de l’austère Volksrecht dont on a lu plus haut les sévères appréciations sur les tendances annexionnistes du socialisme allemand. Et ce pur zimmerwaldien reçut mandat de son compatriote helvétique, M. le conseiller fédéral Hoffmann, d’offrir aux Russes une paix séparée avec l’Allemagne, paix qui aurait pour conséquence « le rétablissement de rapports économiques et commerciaux étroits, un appui financier de l’Allemagne à la Russie pour sa restauration sans aucune intervention dans les affaires intérieures, » et, afin de ne pas fermer la porte à toute combinaison permettant aux Hohenzollern d’étendre leur puissance, « un accord amiable ( ? ) sur la Pologne, la Lithuanie, la Courlande, et le retour à la Russie de ses territoires occupés, en remplacement des régions autrichiennes envahies. »

On le voit clairement : la préoccupation économique, la volonté de s’assurer des marchés est toujours au premier plan. Mais les Russes, qui sont de grands naïfs et des mystiques invétérés, n’y voient pas malice : les menées de Robert Grimm, la propagande maximaliste de l’anarchiste Lénine, l’horreur pour les traditions « impérialistes » du tsarisme déterminent les révolutionnaires de Pétrograd à donner comme programme aux assises que le socialisme international se propose de tenir à Stockholm pour fonder les bases de la paix future, cette formule simple : « Ni annexions, ni indemnités. »