Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/827

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coûteuse liberté des mers, à trouver en Angleterre et aux États-Unis les produits indispensables à son armement ; parce qu’enfin l’Allemagne qui, avant la guerre, tirait déjà de son sol et de ses usines un peu moins de la moitié de la production métallurgique totale de l’Europe, passe aussitôt aux deux tiers de celle-ci en disposant ainsi des parts revenant tant à la Belgique qu’au Nord-Est français et acquiert une incontestable prédominance sur le marché du fer et de l’acier.

Conception d’avenir, d’ailleurs, aussi bien que satisfaction d’un besoin présent. Ce que l’on a, on veut le garder définitivement. Tout le monde le sait et le dit pour la Belgique qui, au regard des Allemands, n’est que la pointe de l’épée anglaise enfoncée dans leur flanc commercial. On le dit, le sait ou le croit moins pour le Nord-Est français, quoique le même et précieux Mémoire, qui mériterait de devenir une sorte de catéchisme à l’usage des Français de tous âges, ait formellement déclaré : « Tous les moyens de puissance économique existant sur ces territoires, y compris la propriété moyenne et la grande propriété, passeront en des mains allemandes ; » à quoi il ajoute négligemment et comme une chose allant de soi, que « la France indemnisera les propriétaires et les recueillera. »

Voilà au moins qui éclaire d’une lumière suffisamment crue le véritable caractère de la mission que le « bon vieux Dieu allemand » a assignée sur cette terre au peuple qu’il a élu pour remplir ici-bas ses volontés omnipotentes d’organisation de l’univers. Voilà qui montre aux moins prévenus combien l’idéalisme germanique s’accommode avec les soucis temporels les plus terre à terre.

Mais, diront nos intellectuels, nos doctrinaires et nos mystiques de toutes écoles, socialistes naturellement compris, il n’y a là qu’œgri somnia de pangermanistes exaltés, visions de capitalistes en quête de spéculations nouvelles, mégalomanie de militaristes qui ont trop longtemps attendu la « guerre fraîche et joyeuse » et ne voient plus de bornes à leurs ébats vainqueurs… Ce serait méconnaître étrangement l’âme allemande et se ménager d’amères déceptions que de s’illusionner à ce point : ce que veulent les chefs, les troupes le désirent avec autant d’ardeur. Tout de même que jadis, le plus audacieux métaphysicien des universités allemandes savait, à l’heure voulue, quitter sa chaire pour devenir aussitôt le plus