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entre patrons et ouvriers, que sais-je encore ! Il n’est aucune de ces lois, aucune de ces discussions qui n’ait provoqué des interventions, des discours, de suggestives observations d’Albert de Mun. Pour mieux servir la cause à laquelle il s’était voué, il s’était peu à peu transformé en statisticien, en sociologue, en économiste ; il avait peu à peu, dans ces difficiles problèmes, acquis une expérience, une compétence, une autorité, auxquelles ses adversaires politiques eux-mêmes rendaient hommage. Quand, vers la fin de sa vie, il jetait un regard en arrière, il aurait pu se vanter d’avoir mis la main à toutes les réformes, à toutes les mesures législatives qui, depuis quarante ans, ont progressivement amélioré la condition des travailleurs français.

Sa foi et son patriotisme étaient également intéressés a cette œuvre d’apostolat social. Aller au peuple, prendre en main ses intérêts matériels et moraux tout ensemble, soulager et comprendre ses misères, satisfaire sa soif de justice, c’était là pour lui presque le devoir chrétien par excellence ; il ne concevait pas le christianisme sans ses applications pratiques, et peu d’hommes ont plus profondément médité et pris plus constamment pour devise le Misereor super turbam. Et, d’autre part, il souhaitait passionnément que son pays donnât au monde le grand exemple de la pacification sociale : il voulait une France plus unie, parce qu’il voulait une France plus forte, plus respectée et plus chrétienne. Un jour, à la Chambre, dans une de ces trop rares séances où, à propos d’une loi sur le travail des enfans et des femmes, il eut la joie émue de se trouver d’accord avec des radicaux et des socialistes, il laissa là-dessus échapper toute sa pensée[1] :


Pour moi, disait-il, je n’apporte dans ces débats ni la science d’un économiste, ni l’expérience d’un homme du métier : je n’y entre, vous me permettrez de le dire, — votre bienveillance m’a habitué à penser tout haut devant vous, — je n’y entre que pour accomplir ce que je regarde comme mon devoir de chrétien… J’y entre parce que j’entends au fond de mon âme comme un appel incessant, comme une voix pressante, qui m’oblige à tourner vers les déshérités de la vie toutes les leçons, tous les principes, toutes les espérances de ma foi.

Souvent, bien souvent, j’ai pensé, — oh ! je sais bien que vous

  1. Discours, tome IV, p. 80-81.