Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/810

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il s’en faut d’ailleurs que ce rôle ait été aussi stérile qu’il a dû le croire quelquefois, aux heures de découragement que, comme tout le monde, il a pu connaître. Il a rarement agi, il est vrai, sur l’esprit, — ou tout au moins sur les votes, — de ses collègues de la majorité. Mais la Chambre n’est pas toute la France, et ses protestations, ses appels à l’équité, à la tolérance, ont eu, comme toutes les paroles sincères, le retentissement lointain qu’elles méritaient. Si ses contemporains sont trop souvent restés sourds à sa voix, il s’est fait entendre, par la presse et par le livre, des jeunes générations qui, impatientes du joug que d’étroits préjugés faisaient peser sur elles, aspiraient à voir régner dans la vie publique cet esprit nouveau dont on leur avait tant parlé, et auquel on obéissait si peu. Les jeunes gens de la guerre lui doivent une partie de leurs dispositions morales. Il n’a pas eu la plus mauvaise part.


III

Il y a pourtant toute une partie de son œuvre dont il put, de son vivant même, non seulement entrevoir, mais recueillir les résultats positifs : c’est celle qui relève de son activité sociale. Dans cet ordre d’idées, son peu de goût pour la Révolution l’a fort bien servi. Il faut bien le reconnaître en effet. Si, même en matière sociale, l’action révolutionnaire est loin d’être tout entière mauvaise et non avenue, la Révolution a eu cependant le très grand tort, sous prétexte d’ « affranchir » « l’homme et le citoyen, » de le laisser sans défense tantôt contre ses propres instincts, et tantôt contre les instincts d’autrui. La liberté est un bien beau mot, — en théorie ; mais si, en fait, elle est tout simplement la liberté de mourir de faim ou la liberté d’imposer un salaire de famine, est-elle vraiment chose si respectable ? Or c’est bien en ces termes que la question se pose : toute l’histoire économique du XIXe siècle est là pour en témoigner. Libérer l’individu de toute contrainte sociale, c’est donner imprudemment une prime à l’égoïsme, c’est supprimer ce qui est un frein pour la force, une protection pour la faiblesse ; c’est encourager l’une à la dureté et l’autre à la révolte. Et cela, d’autant plus infailliblement qu’en faisant la guerre au christianisme, on a ruiné, ou tout au moins affaibli dans les âmes la seule puissance peut-être qui fût capable de les adoucir.