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dépouiller, comme d’une tunique de Nessus, des principes qu’ils en ont reçus, et qui ont pénétré leur sang. Non, il y a autre chose dans la Révolution. Si elle a pu naître, c’est qu’il y avait dans la vieille société une corruption qui appelait nécessairement une réforme profonde. Il faut le dire bien haut, c’est notre force, et ce doit être notre honneur de ne pas nous attarder dans les regrets stériles, mais de nous présenter au peuple qui nous entend du dehors, et que nous voulons entraîner, non comme les hommes de la décadence et du passé, mais comme les hommes du réveil et de l’avenir[1].


On ne saurait mieux dire ; et des déclarations de ce genre, que l’on pourrait multiplier, et qui représentent la vraie pensée d’Albert de M un, auraient dû désarmer des adversaires sincères ou perspicaces. Mais quoi ! il avait parlé de « contre-Révolution ! » « Contre-Révolution » devint le « tarte à la crème » de la majorité parlementaire. Le grand orateur catholique a été la victime d’un vocable trop flamboyant.

Pareillement, et il ne s’en cachait pas, il était royaliste. Mais il avait, nous l’avons vu, commencé par l’être avec quelque tiédeur, et il ne devait pas l’être toujours. Quand, en 1892, dans son encyclique du 20 février aux catholiques français, Léon XIII leur prescrivit en termes pressans d’accepter le gouvernement établi, Albert de Mun s’empressa de déférer à ce sage conseil ; il sacrifia résolument ses opinions, ses préférences personnelles : il le fit avec beaucoup de dignité et de délicatesse, sachant bien « tout ce que portent avec eux de difficultés et de peines les temps de transition, » mais il le fit « sans arrière-pensée[2]. » Comme l’on pouvait s’y attendre, les républicains ne lui surent pas le moindre gré d’un « ralliement, » que lui reprochèrent les royalistes. Les hommes sont ainsi faits : ils n’admettent pas que l’on change, s’ils ont intérêt à vous accabler sous le poids d’idées que vous ne partagez plus ! Et pourtant, même à l’époque où les convictions monarchiques d’Albert de Mun demeuraient entières, il n’était pas malaisé de voir qu’elles n’étaient pas inébranlables, qu’elles n’avaient point toute la solidité de ses convictions religieuses et de ses convictions sociales. En 1881, dans un discours royaliste, il disait déjà : « Je sais très bien, et tous les catholiques savent avec moi que, si la soumission à la loi divine est la condition essentielle qui s’impose à tous les

  1. Discours, tome 1, p. 498-499.
  2. Discours et écrits divers, t. V, p. 181.