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quelques objections, et peut-être Albert de Mun était-il trop pleinement orateur pour s’attarder aux scrupules du pur écrivain. Mais, à trop appuyer sur cette observation, il y aurait quelque injustice, et même une certaine étroitesse. Les qualités propres de l’écrivain ne sont peut-être pas, toujours et partout, les plus nécessaires, et il en est, sans aucun doute, de plus indispensables à l’orateur. Bon écrivain au demeurant, Albert de Mun possédait à un haut degré ces qualités proprement oratoires, que son action verbale devait souligner et mettre en valeur, mais qui transparaissent encore dans ses discours imprimés.

Et d’abord, le mouvement. C’est peut-être là, quand on y songe, non seulement pour toute œuvre oratoire, mais pour toute œuvre littéraire, la qualité suprême. Dès les premières paroles que l’on prononce, s’emparer fortement de l’esprit de son auditeur ou de son lecteur, le maintenir, l’entraîner jusqu’où on veut le conduire, ne pas lui permettre de se reprendre, le saisir dans un engrenage qui ne l’abandonnera qu’au terme, le porter d’un seul élan jusqu’à l’impression finale qu’on désire lui laisser : à ceux qui possèdent ce don nous sommes disposés à tout pardonner. Albert de Mun l’avait : il ne persuadait pas toujours ; on le suivait presque malgré soi ; on était pris, quoi qu’on en eût, par cette conviction ardente, par cette souple dialectique, emporté, soulevé par ce souffle puissant et généreux. A chaque instant, dans ses discours à la Chambre, il craint d’abuser de la patience de ses auditeurs, s’excuse d’être trop long, propose d’abréger son exposition. « Non, non, parlezI » lui crie-t-on de tous côtés. Et ces exclamations spontanées montrent, mieux que tous les commentaires, l’intérêt continu qui s’attachait à cette parole et l’ascendant qu’elle exerçait.

Et quand, chemin faisant, l’orateur « touche à des sujets dont il est impossible de parler sans que le cœur en soit ému, » alors, tout naturellement, le ton s’élève, le mouvement se précipite, l’accent indigné ou pathétique s’impose à l’attention la plus rebelle, à l’indifférence la plus dédaigneuse : « La Révolution, s’écriera-t-il, a ruiné la foi qui soutenait les cœurs, sans rien mettre à la place que l’appât des richesses matérielles et l’ambition sans frein. Et alors ce peuple, désagrégé et découronné de ses vieilles croyances, elle l’a attaché derrière son char, affublé du masque d’une trompeuse souveraineté, se