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sergent-major, un vieux soldat du Tonkin, qu’il avait un fils au 104e, et qu’il demandait à partir avec lui. « Passez encore à la visite, lui avait répondu le commandant, et je vous accepte de grand cœur. » Alors, il avait couru tout joyeux à la boutique, y avait laissé le fameux papier : Il y a du bon pour le 104, et, le soir même, était incorporé dans la même compagnie qu’Albert… Père et fils, quelques semaines plus tard, partaient ensemble pour le feu…

Dès son arrivée au front, il était nommé adjudant et chargé, pour ses débuts, de gros travaux de tranchées assez durs pour les recrues dont se composait presque exclusivement sa compagnie ; il arrivait, mais non sans peine, à les leur faire exécuter. En entendant son fils l’appeler « Papa, » tous ces jeunes soldats s’étaient mis à l’appeler de même, et, tout en ne voulant pas faire de peine à « Papa, » tout en l’aimant même pour sa bonté et son entrain, ils ne lui obéissaient pas toujours très vite. Alors, sans se fâcher, mais commandant d’exemple, il allait chercher lui-même les poutres et les sacs de terre, les chargeait sur son dos, les apportait, et disait en les déposant :

— Allons, les enfans, tenez, moi qui suis vieux, je travaille bien… Travaillez donc, vous qui êtes jeunes !… Allons, voyons, un petit peu de cœur !… Tenez, ça n’est pas plus difficile que ça… Faites comme moi, c’est pour la France !…

Et ils finissaient par travailler, portaient comme lui les poutres et les sacs, les pierres, les troncs, les grosses branches, et Albert écrivait à la famille : « Papa est le plus jeune de tous, il entraine toute la compagnie ! »

Il enseignait déjà ainsi l’endurance à ses jeunes gens, mais n’allait pas tarder à leur enseigner aussi la bravoure, car le danger, pour lui, ne semblait même pas exister. Quels que fussent l’atrocité de la mitraille, la fureur du bombardement, le déchaînement et la masse des assaillans, il était toujours le même, tranquille, gai, bonhomme, paternellement intrépide, et ses hommes, au bout d’une année de guerre, avaient déjà supporté, à son exemple, tout ce que peuvent avoir à supporter dus soldats, l’écrasante vie des tranchées, les journées et les nuits dans l’eau ou dans la boue, les obus, les gaz asphyxians, les désespérances d’une usure plus terrible que la bataille, lorsque la grande trouée de Champagne commençait.

La bataille s’engageait dans les premiers jours de l’automne