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enrégimenté son ami et son disciple parmi les « prophètes du passé. » Son petit livre de début est un réquisitoire assez violent contre l’armée du second Empire, dont il attribue la décadence à l’invasion des mœurs démocratiques. Si l’armée allemande l’a emporté, selon lui, c’est surtout grâce à sa supériorité morale. Et il conclut : « Nous fonderons des institutions militaires sur le seul amour du devoir ; et nous relèverons ainsi, selon les lois de Dieu, le plus beau royaume qu’il y eut en ce monde. »

Albert de Mun épousait toutes ces idées, et commentait avec enthousiasme le livre de son ami dans un article du Correspondant : « J’ai serré sa main, écrivait-il, sur nos champs de bataille de Metz ; je l’ai rencontré sur la terre d’exil, où son âme fortement trempée réconfortait la mienne ; j’ai traversé avec lui les horreurs de la guerre civile, et partout je l’ai trouvé marchant sans défaillance dans la voie droite du devoir et de l’honneur. Puisse-t-il longtemps encore me montrer le chemin, et puissent, à son exemple, tous les hommes généreux descendre dans l’arène pour soutenir son combat et travailler avec lui à régénérer la patrie[1] ! »

Ainsi donc, toutes ses impressions d’alors et toutes ses « expériences, » toutes les influences qui s’exerçaient sur sa pensée, tout cela aboutissait, chez Albert de Mun, à un même rêve d’action religieuse et patriotique. Mais ce rêve était encore assez vague. En vain il entrait en relations avec Dupanloup, dont le gallicanisme le heurta ; avec Louis Veuillot, qui l’enchanta ; avec Le Play, qui le déçut un peu ; en vain il se nourrissait de Joseph de Maistre et de Bonald, de Balmes et de Donoso Cortès : si ses idées maîtresses, ses tendances générales se dessinaient, se précisaient progressivement, elles manquaient pourtant d’un point d’appui solide, d’un objet fixe et concret. Tout ce lent travail intérieur, de son propre aveu[2], risquait d’aboutir « à une sorte de dilettantisme catholique et social. » Les circonstances en décidèrent autrement.

Un jour du mois de novembre 1871, dans son petit salon démeublé du Louvre, Albert de Mun recevait la visite d’un homme grisonnant, simplement vêtu de noir, d’une ardente et noble physionomie. « Du premier regard, » le nouveau venu

  1. Correspondant du 25 août 1871 (non recueilli en volume).
  2. Ma vocation sociale, p. 56.