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délégué à son Comité de Salut public, avec la direction générale de la guerre, le soin de préparer pour les futures campagnes une armée animée d’un esprit tout nouveau. Carnot y avait été spécialement préposé[1].

La France ne sera jamais assez reconnaissante à cet homme. Ce solide Bourguignon entendait « organiser militairement la fureur populaire. » Cette lave en ébullition, qu’un Danton (en de pareilles crises, il faut des Danton et il faut des Carnot) avait en quelque sorte déversée sur les frontières, ce froid mathématicien, officier des armes savantes, la canalisa, si j’ose dire, vers les points utiles, l’empêchant de déborder autrement que sur l’ennemi. Enfermé dans le célèbre cabinet vert du Comité, où il travaillait seize heures par jour, mangeant à peine, dormant à peine, il organisa la victoire. Mais « en cette nation en ébullition, ai-je déjà écrit, il ne fut l’organisateur de la victoire que parce qu’il fut, calme jusqu’à paraître glacial, l’organisateur de la discipline. » — « Point de dureté dans les manières, beaucoup de sévérité dans l’exécution. » C’était le procédé, mais le principe dominait tout : « La discipline fondée sur la confiance et l’amour de la Patrie. » Sévérité égale pour les grands et les petits : le général coupable d’insubordination, livré à l’exécuteur ; mais de l’équité pour les grands comme pour les petits, même quand les petits prétendaient taxer de trahison les chefs malheureux : « Un revers n’est pas un crime, quand on a tout fait pour mériter la victoire. Ce n’est point par les événemens que nous jugerons les hommes, mais par leurs efforts et par leur courage. Nous aimons qu’on ne désespère pas du salut de la Patrie. » Avant tout, aucun excès qui déshonore le soldat républicain : « Réprimez sévèrement les délits et chassez des corps les auteurs de ces pernicieux exemples. » Avant tout, aucune usurpation sur le commandement : « La force armée ne délibère pas : elle obéit aux lois, elle les fait exécuter. Elle serait coupable si elle se prononçait spontanément ou individuellement, parce que c’est l’unité qui fait toute sa force et qu’elle ne doit jamais s’exposer à une divergence d’opinion. »

Danton avait crié : De l’audace ! Carnot disait : De l’ordre ! Mais Danton se ralliait à l’ordre et Carnot n’entendait qu’ordonner l’audace.

  1. Cf. la Correspondance de Carnot publiée (1892-1897) par Etienne Charavay et Maulouchet, et les Mémoires de Carnot par Hippolyte Carnot.