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allait commencer, lorsque le patron de l’établissement se précipitait dans la salle en prévenant que le plafond n’était pas solide et que les danses étaient interdites. On n’en avait ri que davantage, mais le ménage Munier n’avait plus songé, dès le lendemain, qu’à la vie sérieuse. Mme Munier était couturière, Munier rentrait à la maison Chaix, et ils travaillaient ainsi quelques années chacun de son métier, quand il avait voulu devenir patron, et pris le petit magasin de librairie dont le fonds était à céder dans le haut du boulevard Malesherbes, en face du lycée Carnot. Ils devaient y rester vingt ans.

D’une honnêteté qui aurait pu passer en proverbe, et depuis vingt ans dans leur quartier, les Munier y jouissaient d’une estime et d’une sympathie toutes particulières. Ils avaient trois enfans, deux fils et une fille, et l’aîné des fils, Albert, déjà marié et père de famille, était compositeur-typographe et travaillait dans la maison. Mme Munier avait renoncé à son état de couturière pour se consacrer aux affaires de son mari. La jeune fille, Mlle Simone, tenait la comptabilité de la boutique, et le second fils, le dernier, était apprenti dans la maison Chaix, comme l’avait été son père. Une sœur de Munier, enfin, mariée à un employé de banque, aidait sa belle-sœur et sa nièce dans la tenue de la librairie. Aussi unis entre eux que passionnés pour leur profession, ils faisaient penser à ces belles et laborieuses familles d’artisans de l’Ancien Régime, dont les traditions de vaillance, d’attachement à leur métier et de moralité étaient si fortes. Au milieu des difficultés qui ne leur avaient pas été épargnées, mais dont leur courage avait triomphé, ils avaient toujours vécu en même temps dans une de ces ententes domestiques où toutes les peines s’adoucissent, et l’une des femmes de la famille pouvait dire un jour à quelqu’un qui admirait cette union intime :

— En effet, nous nous aimons bien… On peut s’aimer autant, mais pas davantage !

En véritable héritier des artisans de la vieille France, Munier n’avait pas simplement voulu devenir patron, mais visé un but plus élevé, et rêvé de perfectionner son métier. A la boutique du boulevard il ajoutait, d’abord, dans la maison même, une petite imprimerie qui lui permettait de fournir à sa clientèle des lettres de faire-part et des cartes de visite. D’autres travaux plus sérieux lui arrivant plus tard, il louait,