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la fin de l’automne, cette discipline semblait derechef tomber en décomposition. Et il allait falloir de nouveaux efforts pour la rétablir.


IV. — LA NOUVELLE CRISE

Cette nouvelle crise tenait à plusieurs causes. Les deux principales étaient la libération même du territoire, suivit d’assez faciles conquêtes, et l’afflux des volontaires de 1792.

Ces volontaires, — nous venons d’entendre parler un de leurs chefs, Kléber, — étaient brûlans de civisme : Danton les avait jetés, dans l’été de 1792, aux armées qu’ils grossissaient sans beaucoup les fortifier : des généraux, — et parmi les plus démocrates, — eussent même volontiers admis qu’ils les affaiblissaient. C’est que, s’ils étaient animés presque jusqu’à l’ivresse de « l’amour sacré de la Patrie, » ils étaient les soldats les plus indisciplinés qu’on eût jamais vus. Partis dans un bel élan de civisme au secours de la Patrie en danger, beaucoup, — fort différens par-là des volontaires de 1791 qui, eux, rendirent de grands services, s’étant plies volontiers à la discipline, — sortaient des bandes qui avaient fait les grandes journées populaires : la guerre de pavés peut exercer les bras et soulever les âmes, elle enseigne rarement la soumission aux règles. Habitués au tumulte des clubs, toujours prêts aux motions, un grand nombre d’entre eux, à la stupéfaction des vieux soldats, transportaient dans les camps des habitudes si peu conformes à la discipline. Spontanément enrôlés, ils avaient leur statut, pouvaient regagner leurs foyers après une campagne, avaient le droit d’élire leurs chefs et si, il le faut reconnaître, ils les élurent parfois bien (Bessières, Championnet, Delmas, Haxo, Laharpe, Lecourbe, Suchet, Pérignon, Victor, Oudinot, M arceau, More au, Davoust, sortiront chefs de bataillon de ces élections), l’institution, jugée sévèrement par les autres soldats, entretenait l’agitation et tuait le respect : « Qui t’a fait roi ? » pouvait répondre tout volontaire à une observation de son chef. Et puis, démocrates échauffés, imprégnés encore de l’esprit du Paris révolutionnaire, ils tenaient pour suspect « d’aristocratisme » tout autre officier que ceux qu’ils avaient élus : toujours prêts à considérer comme « contre-révolutionnaire » tout général qui frappait l’indiscipline sous ses formes diverses,