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à reprendre par la base l’instruction morale du troupier. Pendant tout l’été de 1792, ce fut le constant souci de Dumouriez. Ce vieux routier, infiniment intelligent, connaissait, nous l’avons vu, le soldat français, et c’est déjà beaucoup pour un chef que de connaître les hommes. D’aucuns disent que c’est tout. Membre du Ministère à l’époque où la panique s’était produite, il avait fait décider la formation sur notre frontière des camps où, arrachés à la funeste influence des villes de garnison, les hommes seraient peu à peu repris en main, sans qu’aucun acte de répression, sauf contre les plus coupables, les vint exaspérer. Autour de Lille, près de Sedan, autour de Metz, les troupes de ligne se reformaient ; entraînés par de constans exercices, les soldats y étaient harangués par des officiers sur le ton de la camaraderie et proclamés tous les jours les futurs sauveurs de la Patrie. La Fayette, commandant l’armée du Nord, pouvait, dès le milieu de l’été, se louer de la meilleure attitude de ses soldats, et le vieux maréchal Luckner, commandant l’armée de Metz, décernait aussi quelques satisfecit. Mais quand, en août 1792, Dumouriez aura remplacé La Fayette dans le Nord et Kellermann Luckner à Metz, on verra le civisme des soldats se muer en un patriotisme si éclairé que d’eux-mêmes ils allaient réclamer de leurs chefs des règles sévères de discipline et, en attendant, frapper spontanément d’incivisme toute désobéissance au règlement.

Un grand tribun venait de s’élever au pouvoir sur les ruines du trône qu’il avait plus que personne contribué à jeter bas-Jacques Danton était pour quelques semaines, après le 10 août ; le vrai maître de l’État ; âme trouble, intelligence forte, cœur de flamme, orateur fougueux, mais politique réaliste, capable des pires et des meilleurs gestes, de vues atroces et de vues généreuses, il se faisait l’excitateur de toutes les énergies. Naguère séditieux, révolté, indiscipliné, c’était précisément lui qui, en 1790, avait, pour venger les soldats de Nancy, cependant si peu frappés, renversé le ministre de la guerre. Révolutionnaire forcené, il avait, après des ministres, renversé le trône lui-même. Mais aussi peu idéologue que possible, il apercevait clairement le danger de la situation, et pour la Révolution et pour la Patrie. Profondément démocrate, plébéien dans l’âme, il était plus profondément encore patriote. Il entendait que la France fût sauvée de l’invasion parce que, l’invasion