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heureusement revenu sous la République aux principes en pareil cas[1]. »

Mais la Constituante en était, elle, encore à craindre la « tyrannie » plus que la « licence. » Lorsque la garnison de Nancy s’insurgea, elle décida bien, sous l’action de La Fayette, peu suspect de réaction, de réprimer une manifestation par trop insupportable d’une mentalité trop courante et autorisa le ministre de la guerre à envoyer contre les insurgés le corps de Metz. Mais lorsque l’insurrection militaire eut été mise à la raison, l’Assemblée envoya des commissaires qui, dit un témoin, « firent beaucoup de mal par leur extrême indulgence. » Elle gardait presque rancune au ministre La Tour du Pin de l’avoir, d’accord cependant avec La Fayette, entraînée à la répression et le laissa tomber quelques semaines après sous les violentes attaques des clubs, qui le lui pardonnaient moins encore.

Ainsi tout favorisait la dissolution : l’effervescence nationale rompant tous les jougs, les légitimes comme les illégitimes, la contagion de la révolte populaire, l’attitude hésitante du pouvoir et même des officiers, la négligence qu’on avait mise à punir les premiers écarts, l’amnistie rapidement accordée aux fautes plus graves, l’affirmation que toute guerre était désormais impossible, la défection de beaucoup d’officiers contre-révolutionnaires et la suspicion qui en résultait aux dépens de ceux qui restaient, les contradictions de l’Assemblée prêchant la discipline, mais craignant de l’organiser, votant la répression et la paralysant, tout cela eût fatalement créé l’anarchie dans une armée foncièrement disciplinée ; à plus forte raison la consommait-elle dans cette armée royale, valeureuse à coup sûr, mais dont j’ai dit la médiocre composition et le médiocre esprit.

Il n’est donc pas étonnant que, pendant toute l’année 1791, de Besançon à Cahors, de Rennes à Huningue, dans toutes les parties du royaume, on vit les soldats entrer de plus en plus violemment en conflit avec leurs officiers ; au commencement de 1792, encore que l’Europe se fit plus menaçante, des

  1. C’était cependant pour l’Assemblée une évidente et constante préoccupation. Si les faits ne nous instruisaient pas de l’état moral de l’armée, le nombre d’ordres du jour votés, de règlemens établis et de lois votées à ce sujet nous édifierait pleinement. (Débats du 9 et du 11 juin 1790 et du 8 août 1790 sur le maintien et le rétablissement de la discipline, — loi des 19 et 20 septembre prohibant la correspondance entre les corps et toute association dans l’armée, — loi du 15 septembre instituant les conseils de discipline, — débats d’août et septembre 1790 au objet des régi mens mutinés, — lois des 24 et 29 juillet 1791, etc.)